Depuis sa mort, je ne suis plus le même

Il y a un avant et un après le deuil. L’épreuve de la perte modifie la relation à soi, aux autres et au monde. Elle aiguise aussi la conscience de notre propre mortalité et nous invite aussi à vivre pleinement l’instant présent. Les lecteurs du Monde.fr témoignent de leur expérience.

Comment faire le deuil d’un être cher ?

Un sentiment d’injustice, par Catherine, 54 ans

J’ai perdu ma mère, il y a un mois, d’un cancer fulgurant et douloureux. Fille unique, j’ai vécu sa maladie et son décès avec douleur et une grande colère… un sentiment d’injustice. Elle était en parfaite et santé et tout d’un coup… il a fallu se préparer à une séparation définitive. Elle avait peur de la maladie et de la mort. Je me sens seule au monde et en même temps différente. J’ai la chance d’être entourée de l’amour de mon mari et de mes trois filles que je veux essayer de préserver de mon chagrin, mais c’est difficile de cacher à ses proches son désespoir. Mon travail m’aide également à « penser à autre chose ». Par moment, je crois avoir refait surface et puis un souvenir, un objet me rappelle ma mère et je pleure… mes amis et ma famille me disent « courage tu vas en avoir pour un moment à remonter la pente mais le temps t’aidera non pas à oublier mais à diminuer ta peine ».

« Etre apaisé ne signifie pas oublier », par Véronique, 49 ans

J’ai perdu mon mari âgé de 40 ans d’un cancer de la peau. Il a été foudroyé par cette maladie en trois semaines, c’était brutal. Pendant deux ans, je n’ai fait que pleurer jour et nuit et n’avais plus de goût à rien. Je suppose que j’étais en dépression. J’ai tenté de voir un psychiatre qui m’accusait de ne pas réussir à surmonter cette épreuve. Au bout de quelques mois, j’ai abandonné mon psy et me suis tournée seule vers le bouddhisme. Les lectures sur le bouddhisme m’ont apaisée. J’ai appris qu’il ne fallait pas lutter contre son chagrin et pleurer tout ce qu’on avait à pleurer alors qu’en Occident, on vous dit de « fonctionner » malgré tout. Ce deuil m’a complètement transformée dans le sens où je veux profiter de la vie ici et maintenant et je ne fais plus trop de projets à long terme. Etre « apaisé » ne signifie pas « oublier », les gens qu’on aime, on les aime même morts, mais, nous, les vivants il faut bien vivre sans eux et avec le temps et beaucoup de lecture sur le bouddhisme, on arrive à trouver la paix. Avec le temps, on souffre moins mais on n’aime pas moins pour autant la personne décédée et c’est rassurant de le savoir. Il suffit de regarder une photo pour avoir les larmes qui montent aux yeux. Donc il ne faut pas avoir peur « d’oublier » notre être cher, car on n’oublie pas, mais on peut laisser faire le temps et vivre sa vie dans la sérénité et accepter les nouvelles choses qui se présentent obligatoirement. La vie continue. Le bouddhisme est le seul moyen que j’ai trouvé.

Réapprendre à vivre, par Véronique, 56 ans

Comment vivre ou plutôt survivre après le décès d’un conjoint : père de vos enfants, mari attentionné ? Mort prématurément (41 ans) et subitement, il nous a laissé : ses deux enfants âgés de 12 ans et 16 ans et sa femme, 43 ans, il y a de cela 12 ans. Je n’ai pas eu le temps les premiers mois de me rendre compte de l’énorme vide affectif tant il y a de paperasses à faire… Beaucoup de monde autour de vous et puis vous vous retrouvez seule et seuls. Les enfants veulent vous protéger et gardent en eux leur chagrin. C’est grâce à eux que j’ai continué : ils ne méritaient pas un tel cataclysme dans leur vie. Il a fallu réapprendre à vivre à 3 au lieu de 4 : sortir, aller en vacances, s’occuper de leur parcours scolaire. Nous sommes restés dans notre appartement deux ans sans rien toucher : nous voulions arrêter le temps au 21 juin 2001, cela nous semblait impossible de faire autrement. En même temps, je me rendais une fois par semaine chez une psychologue. J’avais et j’ai toujours d’ailleurs besoin d’en parler. Et puis j’ai voulu me rapprocher de ma famille dans le sud de la France et il a fallu déménager. Cela nous a demandé un gros effort : bienfaiteur pour moi ; beaucoup moins pour mes enfants… La blessure est toujours présente mais la douleur s’est apaisée. Les mots ne suffisent pas toujours à décrire l’injustice (pourquoi lui et nous ?), le manque de la présence et le son de sa voix, tous les moments importants de la vie (les baccalauréats des enfants, le permis …) La vie est un combat.

Le sentiment d’être amputé(e), par Alice, 30 ans

Un claquement de doigt et ma vie a basculé. Pour l’éternité. Mon frère est décédé à 22 ans. J’en avais 21. Les mots sont clairs mais leur sens est tellement atroce qu’il m’a fallu des jours, voire des années pour que ma tête comprenne leur signification. J’ai commencé par dormir nuit et jour, sans cesse. Il paraît que le choc psychologique est parfois tellement important que le corps compense en se mettant en veille. Après, viennent toutes les étapes du deuil décrites partout. Ce qu’on ne dit pas, c’est le sentiment d’être amputé, toujours présent, même s’il est amoindri, presque dix ans après. Avec le temps, vient l’acceptation de la mort de mon frère, la douleur de son absence s’estompe mais… les conséquences restent douloureuses. J’aimerais tant avoir quelqu’un pour échanger des idées sur les cadeaux de Noël des parents, être tata… Avant, j’avais un frère et des parents qui vivaient bien. La mort crée une spirale. Maintenant je suis fille unique avec des parents séparés avec des problèmes financiers. Lequel de mes deux parents dois-je laisser seul à Noël avec le fantôme de son fils ? Avant je voulais faire carrière, aujourd’hui je profite de ceux que j’aime. Mais avant j’étais une « petite conne », la vie m’a donné une claque et m’a rendue plus humble et attentive aux autres. L’horreur peut vous rendre moins égoïste, mais il faut du temps. J’ai mis plus de six ans avant d’accepter de me rouvrir aux autres, j’avais trop peur de perdre ceux à qui je m’attachais.

La mort a changé mon rapport au monde, par Jérôme, 53 ans

Le 19 octobre 2012 marquera le 25e anniversaire de la mort de ma mère. J’avais 28 ans lorqu’elle est décédée à 54 ans d’un cancer. Dans un an, j’atteindrai l’âge qu’elle avait lorsqu’elle est morte. Surmonte-t-on la perte d’une mère, disparue trop jeune, qui n’a pas vu grandir ses petits-enfants ? Sincèrement, je n’en sais rien. Bien sur le temps atténue la douleur de l’absence, d’autres décès proches se sont produits, la vie a passé, finalement. Mais cette mort brutale et prématurée, oui, a changé mon rapport au monde, à la vie, même, je le crois. Elle m’a appris, avec violence, que notre existence est très relative, qu’il n’y a pas de hiérarchie ni de logique, sinon celle du destin de chacun. Je me méfie des notions telles que « surmonter », faire un « travail » de deuil. Pour ma part, j’ai appris à vivre avec cette conscience que la vie et la mort coexistent en permanence. Aujourd’hui, j’ai un regard serein sur la mort, et sans avoir des sentiments religieux particulièrement développés, j’ai l’absolue conviction que nous continuons à vivre après notre mort, sous une autre forme, dans une autre dimension, mais aussi dans la mémoire de ceux qui restent. Le souvenir que je garde de toi, maman, est mon ultime consolation.

Convalescente, par Estelle, 43 ans

J’ai récemment perdu mes deux parents : cancer très rapide pour l’un, alors que je m’apprêtais à prendre un congé pour maladie d’un proche, accident pour l’autre, quatre mois plus tard. J’ai été abasourdie, ayant totalement perdu mon environnement mental habituel, mes repères. Les pertes de mémoire courtes, les angoisses, le ressassement, sont devenus permanents. Cela a entraîné des problèmes relationnels avec mon conjoint qui ne me connaissait pas aussi déprimée. Je refuse toujours son aide par peur qu’il voit à quel point je suis fragilisée par ces décès et qu’il décide de me quitter. Je me suis retrouvée mentalement incapable de faire mon travail, où je m’occupe d’un public exigeant. Heureusement, je suis dans la fonction publique et n’ai pas été licenciée. Je suis toujours en congé maladie, un an après. Je suis en convalescence, mais ai besoin d’aide : psychanalyse, psychothérapie, médicaments. Le deuil s’effectue pour moi dans l’isolement, le silence, la lenteur, afin de pouvoir penser à mes parents, à ce qui a eu lieu dans le passé lointain ou récent, à la possibilité de l’impensable. Je ne peux pas sortir pour faire autre chose que des tâches quotidiennes. J’ai besoin de temps et de réflexion, de ma famille, de sécurité matérielle et affective. La présence de mes proches m’est indispensable. La réaction de certains proches a été très étonnante. Le besoin d’aide que j’ai exprimé a pu entraîner des rapports de domination, d’agressivité, ou un éloignement.

Ne pas passer à côté de la vie, par Louise, 35 ans

Une mère, quel que soit l’état de la relation entretenue avec elle, reste incontestablement un être cher. La mienne nous a quitté il y a maintenant dix ans, un mois avant la naissance de mon premier fils, grossesse décidée pendant la maladie afin qu’ils puissent se rencontrer. Comme le faisait remarquer mon enfant dernièrement, j’ai donc perdu ma mère alors que je donnais la vie à un être très précieux. Le fait qu’elle soit partie à 46 ans (j’en avais 26) a donné à ma vie un caractère d’urgence. Depuis, je vis à deux cent pour cent, ne voulant rien manquer, habitée par la pensée que la mort peut arriver à chaque instant. D’une certaine façon, et puisque notre relation était conflictuelle depuis mon adolescence, je pense que d’avoir perdu ma mère si tôt peut être considéré comme une chance ; car cet événement m’a appris à profiter pleinement de ma propre vie, plutôt que de continuer à passer à côté. J’ai conscience que ce que je dis là peut être difficile à entendre, mais l’expérience de la perte d’un proche ne laisse pas indemne, et sort la mort de la vision abstraite que l’on en avait enfant. J’ai éprouvé à la fois grande tristesse et soulagement que cela s’arrête enfin après une longue maladie. Dix ans après, mes sentiments à l’égard de ma mère sont toujours conflictuels. Je l’aime évidemment, sans pourtant avoir vraiment su quelle femme elle était, et j’ai de la colère pour elle, pour cette même raison. Aujourd’hui, je règle encore mes comptes avec ce qu’elle m’a transmis.

Mettre son chagrin en sommeil, par Sabine, 43 ans

Mon père est décédé en 2006 des suites d’un cancer du côlon. Sa mort a d’abord été un soulagement (il ne souffrait plus et je ne me sentais plus impuissante à le soulager). Même si on communiquait peu, j’avais pu lui dire que je l’aimais, je ne me sentais donc pas coupable. Peu après, il y a eu les crises de larmes chaque fois que je prenais conscience qu’il n’était plus là et ne le serait plus jamais. Puis, j’ai mis mon chagrin en sommeil parce qu’il fallait être forte pour notre mère. C’est à cette période que je ne le « trouvais » pas quand j’allais au cimetière… Puis j’ai décidé de faire mon arbre généalogique, en partie pour comprendre son parcours et celui de son père entouré d’un sombre secret de famille. Déterrer ce secret m’a permis de mieux comprendre leur histoire et je crois que grâce à cette démarche, j’ai pu faire le deuil du père dont j’avais rêvé toute ma vie et du même coup, j’ai réhabilité le mien ! J’ai compris qui il était et pourquoi il était. Aujourd’hui, quand je pense à lui, je suis sereine. Et encore plus qu’avant, je m’interdis de porter un jugement hâtif sur l’autre en général. En tout cas, j’essaie.

Une petite flamme s’est éteinte avec eux, par Charlotte, 49 ans

Cette année-là, j’ai perdu ma mère et mon frère. J’étais près d’eux quelques heures avant leur départ mais je savais depuis le début de leur maladie respective qu’ils allaient mourir. Le chagrin n’en était pas moins fort et malgré l’évidence de leur mort, devant leurs corps froids, d’où toute vie s’était échappée mais que je tenais et serrais et embrassais, et depuis lors, je ne peux encore y croire. J’ai pleuré chaque jour durant la première année, des sanglots imprévisibles et irrépressibles. Je pleure moins aujourd’hui que deux années se sont écoulées mais je reste encore stupéfaite lorsque, croyant pouvoir leur téléphoner, je me souviens qu’ils ne sont plus là. Ils me manquent et parfois je rêve d’eux. Mais je ne suis plus la même, à la fois plus forte mais consciente que tout peut s’arrêter. Aussi suis-je plus gentille et plus tolérante avec les autres, surtout mes filles. Et les choses me semblent moins graves, moins dramatiques qu’avant. Cependant, une petite flamme s’est éteinte en moi, comme si j’étais un peu morte avec eux.
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