Psychothérapie Lyon et maladie d’Alzheimer

La Psychothérapie Lyon et la maladie d’Alzheimer

« À propos de la publication d’une étude contrôlée randomisée sur l’effet de la psychothérapie brève dans la maladie d’Alzheimer, Pierre Charazac revient sur le rapport édité en 2003 par l’Anaes sur la prise en charge non médicamenteuse de cette affection. Il montre la nécessité de fonder l’évaluation sur les besoins réels de ces patients et de leurs aidants, en tenant compte notamment de l’évolution de la maladie. Il fait des propositions pour appliquer à cette thérapie des niveaux de preuve de nature différente de ceux des traitements à visée cognitive. »

Source : Psychologie & NeuroPsychiatrie du vieillissement. Volume 4, Numéro 4, 275-80, Décembre 2006.

 » La publication par le British Journal of Psychiatry d’une étude contrôlée randomisée de l’efficacité d’une psychothérapie brève chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer [1] a relancé le débat ouvert en 2003 par les conclusions du rapport de l’Anaes sur la prise en charge non médicamenteuse de ces patients [2].Ce terme nous rappelle que, dans la littérature actuelle, le traitement pharmacologique fait référence en matière d’évaluation, la comparaison avec un placebo étant plus facile à planifier avec les médicaments qu’avec la psychothérapie.

Les psychothérapeutes ne manquent pas d’arguments pour contester le critère de la randomisation, mais ces critiques ne doivent pas nous détourner du principe de la nécessaire évaluation de ces techniques. Les patients atteints de la maladie d’Alzheimer sont trop nombreux, les conséquences de cette affection trop lourdes et nos ressources humaines trop réduites pour ne pas mériter un tel effort1.L’objet de ce travail est de discuter les difficultés inhérentes à l’évaluation des psychothérapies dans la maladie d’Alzheimer comme à leur application tout court et de faire quelques propositions pour les améliorer.

Le rapport de l’Anaes

Les conclusions de l’Anaes sont nuancées puisque, tout en constatant qu’aucune des méthodes non médicamenteuses actuellement utilisées n’a fait la preuve de son efficacité, ses rédacteurs retiennent l’ensemble des recommandations  » non scientifiques  » de la littérature sur la prise en charge multidisciplinaire des patients et l’accompagnement des aidants. Qu’en est-il plus précisément des psychothérapies, non citées dans le résumé de ce document ?

Les traitements non pharmacologiques y sont présentés comme ayant les objectifs suivants :
améliorer les fonctions cognitives, l’humeur, les troubles du comportement ;
réduire le stress lié à la maladie et les causes de stress ;
préserver le plus longtemps possible l’autonomie fonctionnelle (se nourrir, s’habiller, se laver, aller aux toilettes, se déplacer) ;
préserver le plus longtemps possible les liens et échanges sociaux ;
maintenir et améliorer la qualité de vie ;
retarder le passage en institution ;
aider, soulager et préserver la santé mentale et physique des aidants.

Cette revue privilégie nettement la stimulation sous toutes ses formes : cognitive, comportementale, sensorielle et motrice. En dernier lieu viennent la thérapie par empathie (validation therapy) et l’évocation du passé (reminiscence therapy). La première est fondée sur l’effort de compréhension des manifestations du malade et le principe de communication par la reconnaissance et le soutien de leurs sentiments, quelle qu’en soit la réalité. La seconde se décompose en deux techniques : 1) l’évocation du passé, individuellement ou en groupe, de manière spontanée ou en utilisant des supports ; 2) l’examen rétrospectif de la vie (life review) présenté comme une approche psychanalytique, moins adaptée aux personnes atteintes de démence et une tentative pour comprendre et gérer activement les souvenirs angoissants.

On peut s’étonner d’une présentation aussi restrictive, alors que la littérature fournit de nombreux témoignages cliniques sur d’autres types d’interventions psychothérapiques. Mais au lieu de critiquer ce choix, cherchons plutôt à le comprendre. Dorenlot [3] parle à cet égard d’interventions  » très hétéroclites quant à leur fondement théorique, leurs objectifs et leurs critères de jugement « . Les glissements du sens de certains mots d’un auteur à l’autre ajoutent à cette difficulté.

En outre, les rédacteurs de ce rapport ont pris le risque de faire entrer les malades dans une même catégorie. Nos outils de mesure tendent à placer sur le même plan le score du MMSE et ceux des échelles comportementales, sans égard pour l’image composite, sinon incohérente, que cette addition donne du patient et de sa maladie. Or ce qui est acceptable du point de vue d’une psychiatrie se voulant purement descriptive cesse de l’être quand il s’agit d’évaluer des prises en charges. Leur adéquation mérite d’être discutée au cas par cas, en examinant les besoins d’un patient donné dans un environnement donné et à un moment donné de l’évolution de sa maladie. À cet égard, la plupart des travaux analysés par l’Anaes comportent un biais souvent dénoncé par les épistémologues en matière d’évaluation des psychothérapies, à savoir que les malades de ces études ne correspondent pas à ceux que nous rencontrons dans notre pratique quotidienne [4].

La psychothérapie Lyon brève dans la maladie d’Alzheimer

L’originalité de l’étude publiée sous ce titre tient à ce que le rapport précédent constatait qu’il n’existait jusqu’ici, dans ce domaine, aucun travail répondant au critère de la randomisation. Dans le but de comparer l’efficacité de la psychothérapie avec celle de la prise en charge standardisée, Burns et al. [1] ont constitué deux groupes de 20 patients. Les critères d’inclusion étaient le diagnostic de maladie d’Alzheimer, son classement dans la catégorie modérée, un score au MMSE supérieur ou égal à 15, des patients vivant à domicile en contact régulier avec un aidant et capables de communiquer verbalement.

Le groupe traité a eu six séances avec un psychothérapeute et le groupe contrôle de simples recommandations générales. La psychothérapie brève est définie par les auteurs comme  » une thérapie psychodynamique interpersonnelle  » visant à identifier les conflits interpersonnels entretenant des troubles émotionnels. Patients et aidants ont été évalués à six semaines et trois mois, en rappelant qu’il ne s’agissait pas d’évaluer la psychothérapie mais de comparer une intervention avec une autre. Par ailleurs, les patients recevaient un traitement médicamenteux, notamment, pour 25 % du groupe traité et 15 % du groupe contrôle, des antidépresseurs.

Au MMSE et aux échelles évaluant les symptômes comportementaux, les activités quotidiennes et la dépression, les auteurs n’ont pas trouvé de différence significative entre les deux groupes. Ils ont enregistré seulement une légère amélioration de la manière dont les aidants faisaient face aux troubles comportementaux. Ils relèvent aussi l’appréciation qualitative portée par ces derniers en citant une série de commentaires positifs issus de leur interview.
Ils concluent :  » Cette étude montre qu’il est possible d’adapter une psychothérapie aux patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Aucune amélioration n’est apparue dans la majorité des scores des participants et de leurs aidants. Les résultats suggèrent cependant que la thérapie2 a amélioré la manière dont les aidants assument certains symptômes de la maladie. Le thérapeute3 a été manifestement d’un grand soutien pour les aidants et les patients.  »

Les auteurs ne sont pas surpris de ce que l’intervention psychothérapique n’ait pas eu d’effet sur l’évaluation des fonctions cognitives et des activités quotidiennes, le programme ne comportant que six séances. Ils pensent qu’il aurait fallu prolonger l’étude pour évaluer le traitement en terme de stabilisation de la maladie. Ils ne se disent pas surpris non plus de l’impact positif de la personne du thérapeute, tout en observant :  » l’important est que la thérapie soit adaptée à des patients souffrant d’une détérioration cognitive « . Enfin, ayant constaté  » une tendance à l’amélioration à la fois de l’aidant et du patient « , ils envisagent de futures études combinant l’approche de l’un et de l’autre.

Les difficultés méthodologiques propres à la maladie d’Alzheimer

En nous plaçant du point de vue de la psychothérapie psychanalytique, l’évaluation de l’effet de la psychothérapie auprès de ces patients se heurte à des difficultés se classant en quatre groupes, selon qu’elles concernent le patient lui-même, le psychothérapeute, la technique psychothérapique et la maladie d’Alzheimer proprement dite.

Les difficultés tenant au patient

À propos de l’approche psychanalytique, le rapport de l’Anaes observe à juste titre qu’elle  » ne peut être mise en œuvre qu’avec l’autorisation de la personne concernée et dans un but précis « . Ce sont deux aspects d’une même question qui fait problème tout au long de l’évolution et pas seulement lors de l’annonce du diagnostic, celle du rapport du patient avec sa maladie.

Les difficultés commencent avec l’ambiguïté du recours à la notion de sujet et de la référence à la subjectivité. Si, coupant court à toute discussion théorique et sémantique, nous nous demandons ce qui, pour le psychothérapeute, fait la qualité de sujet, il est clair que ce ne sont ni ses performances ni ses troubles, mais la capacité qu’a une personne de s’en saisir en les liant avec d’autres aspects de sa vie cognitive et affective, c’est-à-dire de les représenter et les transformer. Le psychothérapeute n’évalue pas des troubles mais la manière dont le patient les vit et les pense.

Un autre problème tient à l’équivoque de la notion de conscience de la maladie, confondant la perception du trouble (awareness) avec la conscience proprement dite de la maladie. La première concerne le type et l’intensité du trouble tandis que la seconde désigne ce qui en découle dans le rapport avec soi et l’entourage : la conscience d’un changement intérieur, la demande d’aide, l’acceptation du traitement et tout ce qui intéresse l’avenir de soi.

Ici se pose la question du sens que le patient donne à ce qui lui arrive, en distinguant sens affectif et sens rationnel. Confronté à son incapacité, un malade hémiplégique peut expliquer que son bras se promène tout seul. Mais cette rationalisation laisse entière la question de sa réaction affective et de sa dépression. La maladie d’Alzheimer évoluant – c’est même un de ses meilleurs critères diagnostiques – il devient de plus en plus difficile de séparer ces deux dimensions du sens. Le psychanalyste doit alors admettre que, si le cerveau est malade, il ne perd pas nécessairement ses perceptions, mais il cesse d’être capable de les traiter.

Observons enfin qu’en pratique, le principe du traitement psychothérapique et le choix de sa méthode appartiennent rarement au patient. Ils relèvent plus de l’entourage et de sa disponibilité, y compris vis-à-vis des contraintes d’un essai contrôlé. Dans l’étude de Burns et al., [1] sur 53 cas sélectionnés, 13 ont refusé. On peut faire de ce biais méthodologique un critère d’évaluation, en considérant qu’un traitement agit au moins autant sur l’aidant que sur le patient lui-même.

Les difficultés tenant au psychothérapeute

La rencontre avec le patient atteint de la maladie d’Alzheimer a des caractères spécifiques qui sont de nature à compliquer l’évaluation, dans la mesure où elle requiert une formation et une tolérance particulières [5]. On risque donc d’évaluer le psychothérapeute plutôt que la méthode.

À un certain stade de la maladie, l’objectif est de créer et d’entretenir le climat affectif le plus adéquat au patient. Il est significatif que l’étude de Burns et al. [1] concerne la psychothérapie brève car un psychothérapeute ne travaille pas de la même manière dans un programme limité à six séances et dans une prise en charge dont la durée est ouverte. Dans un travail court, il peut espérer améliorer un symptôme tandis que dans une prise en charge prolongée, il aura plutôt le souci d’assurer la continuité d’un travail psychique. C’est pourquoi le thérapeute chevronné sera plus attentif à son contre-transfert qu’à la méthode et il saura adapter cette dernière sans même avoir conscience de le faire.

À la personne du thérapeute s’attache un ensemble d’éléments spatiaux et temporels formant le cadre dont il est classiquement le garant. Dans l’étude précédente, psychothérapeutes et chercheurs se partagent les contraintes du cadre, même si le travail se déroule au domicile des patients. Il en va tout autrement dans le quotidien du psychothérapeute qui tient seul à bout de bras le patient et son aidant. Le Gouès [6], le pionnier de cette psychothérapie, écrivait déjà en 1991 :  » C’est un métier difficile, qu’on ne doit pas mener seul trop longtemps sans s’appuyer sur l’intercontrôle offert par des collègues. Pratiquement, il vaut mieux ne l’exercer qu’à temps partiel de façon à se réserver d’autres investissements.  » L’évaluation de cette forme de prise en charge ne peut évidemment pas ignorer cet aspect.

Enfin, le psychothérapeute interagit avec l’aidant si bien que l’efficacité de son travail dépend en partie de ce tiers. Mais ce dernier représente pour tout protocole de recherche une variable difficile à appréhender car comment choisir les critères pour constituer des groupes d’aidants homogènes : selon son statut d’enfant ou de conjoint, ses réponses à un questionnaire ou l’appréciation de sa santé par un tiers ?

Les problèmes tenant à la psychothérapie

Historiquement, toutes les psychothérapies ont été peu ou prou construites pour répondre aux difficultés spécifiques d’une pathologie ou d’un groupe de pathologies donné : la cure psychanalytique pour les névroses, les thérapies systémiques pour les interactions au sein de la famille du psychotique, les thérapies cognitivo-comportementales pour supprimer en un temps limité un symptôme précis. Aucun de ces modèles n’est directement adapté à la maladie d’Alzheimer qui constitue encore aujourd’hui, pour toutes les psychothérapies existantes, une indication limite.
Pour Kitwood [7], la principale différence entre ce qu’il nomme la psychothérapie ordinaire et la psychothérapie de la démence est que la première vise à un changement qui se maintienne au-delà de la thérapie, tandis qu’en dépit du bénéfice qu’elle apporte, la psychothérapie du patient dément n’atteint jamais un pareil tournant. Elle peut seulement apporter un état de stabilité (a meta-stable state) qu’un changement ou une carence de l’entourage peut facilement détruire. En ce sens, écrit-il, la psychothérapie n’est jamais achevée.

Dans notre pratique personnelle du soutien psychothérapique de ces patients, nous sommes sensible au passage progressif du registre verbal à celui de l’affect, dans une sorte de deuil partagé de nos outils symboliques les plus familiers. Or, il est évident qu’à un tel stade l’évaluation ne peut plus se centrer sur des symptômes et sur la perception qu’en ont le patient, son entourage et son thérapeute. Nous rejoignons Kitwood quand nous constatons que ce saut dans l’affectif introduit des catégories qualitatives difficiles à objectiver, telles que la durée et la stabilité de la relation, le climat de l’entretien individuel ou conjugal (la sécurité ou l’angoisse éprouvée de part et d’autre) ou la trace qu’en conserve le patient d’une séance à l’autre.

Dans l’étude de Burns et al. [1], il n’est à aucun moment question de crise ou d’hospitalisation, alors que, en pratique, ce sont souvent elles qui sont à l’origine de la prise en charge. Reconnaissons que, comme l’ensemble des moyens thérapeutiques dont nous disposons, la psychothérapie est plus souvent sollicitée pour rétablir la stabilité perdue que pour la maintenir, ce qui n’est pas sans conséquence dans la discussion du rapport de l’Anaes et de la place qu’il donne aux diverses techniques de stimulation. La relation avec ces patients est d’autant plus saturée d’affects qu’ils perdent la parole, si bien que loin de les stimuler, nous devons au contraire les apaiser. Certes, le conjoint déplore la perte d’activité du malade et ses conséquences sur son rôle d’aidant mais, à moins qu’il ne se sente à son tour fléchir, sa demande porte habituellement ailleurs, sur l’excitation qu’entretiennent les symptômes comportementaux et son incapacité à les contenir. Bref, lui aussi ne vient pas chercher la stimulation mais l’apaisement.

Une difficulté tenant à la maladie d’Alzheimer

En préface des actes du quatrième colloque Psychothérapies des démences organisé en 2000 à Strasbourg par Michèle Grosclaude [8] et intitulé Démence et traumatisme(s), cette dernière écrit :  » La diversité des textes retenus par le Comité scientifique reflète les principes qui ont fondé les colloques Psychothérapies des démences, à savoir :
l’objectif commun de penser la question des psychothérapies dans le champ des états démentiels, en référence à des options théoriques et éthiques partagées ;
l’ouverture à la diversité des référentiels et des techniques neuropsychologiques, psychanalytiques, cognitifs, comportementaux… ;
la diversité des hypothèses posées et le maintien de débats ouverts à des avis parfois contradictoires « 4.

Au fond, le risque d’éclatement d’un tel programme tient moins à la pluralité des approches qu’à la nature traumatique de la maladie d’Alzheimer. Ce traumatisme ne dissocie pas seulement le patient et sa famille, à travers les échos successifs du diagnostic et la répétition des crises. Il ébranle aussi le thérapeute devant adapter ses protocoles à la dynamique d’une maladie qui, comme la réponse de l’entourage, n’est jamais standardisée. Il est facile de recommander d’adapter la psychothérapie à l’état du patient et à sa prise en charge familiale ou conjugale actuelle. Mais cette adaptation, jamais acquise, est en permanence exposée au risque que la simple incompréhension d’une émotion ou d’un besoin suffise pour déstabiliser durablement les deux partenaires de la relation.

Au préalable de toute évaluation de la psychothérapie nous faisons donc ce constat : les évaluateurs ont besoin de définitions précises et de protocoles donnés d’avance, mais les psychothérapeutes savent qu’il leur faut presque toujours adapter leur technique aux particularités de chaque cas. C’est même en cela que réside l’essentiel de leur compétence. Tous les psychothérapeutes que nous avons entendus dans les congrès Psychothérapies des démences, quelle que soit leur école, admettaient ce principe. Il pose encore une fois la question de savoir si l’évaluation des psychothérapies recrute bien des patients correspondant à ceux de la pratique quotidienne.

Propositions pour l’évaluation du soutien psychothérapique

Les arguments qui précèdent soutiennent ce postulat que l’évaluation de la psychothérapie ne peut pas reposer que sur les critères se prêtant à la randomisation. De même qu’en matière d’autonomie, il y a différentes façons de manier la notion de niveau, il faut accepter d’introduire dans ce domaine des niveaux de preuve différents de ceux s’appliquant aux médicaments à visée cognitive. Par exemple :
la réduction significative des prescriptions de psychotropes, notamment sédatives ;
la suppression du recours à la contention, sous toutes ses formes ;
l’absence d’indice de négligence ou de maltraitance et, au contraire, les signes d’un bon investissement de l’entourage ;
la capacité d’aborder, le moment venu, le thème de la séparation et de l’entrée en établissement.

Ces preuves d’un nouveau type relèvent d’une clinique de la pensée au cours de la maladie d’Alzheimer telle que la défend l’école française dont les chefs de file sont Le Gouès [9] et Péruchon [10]. Leurs travaux sur les étapes de la démentalisation méritent d’être appliqués à l’évaluation de la psychothérapie, avec pour premier principe de ne plus mettre sur le même plan pensée et comportement, en valorisant au contraire les capacités restantes de représentation telles que la réanimation des souvenirs ou l’activité symbolique d’un délire.

Comme la pratique de l’accompagnement de couples nous l’a montré, le conjoint qui répond à une interview n’est pas le même que le conjoint qui vit avec le patient. Il conviendrait donc d’introduire dans l’évaluation de l’aidant des données cliniques à la fois plus fines et plus fidèles que celles de l’interview standardisée, en ne considérant pas seulement ses symptômes mais aussi sa capacité de s’ajuster au patient d’une manière à la fois aimante et créative.

Sur un autre plan, les psychothérapeutes de formation psychanalytique doivent préciser les concepts auxquels ils se réfèrent, par exemple ceux de conscience de la maladie, de sécurité ou d’insécurité interne, les catégories du cognitif, du comportemental et de l’affectif, et la notion même de sens.

Un consensus serait souhaitable sur les objectifs qu’ils se donnent : Est-ce une stimulation retardant la régression cognitive et comportementale ? Une intervention ciblée sur un symptôme visant à soulager l’aidant en période de crise ? Ou un accompagnement prolongé stabilisant la prise en charge à domicile ? Il conviendrait d’associer à un tel travail des psychothérapeutes exerçant en consultation publique et en cabinet, sans oublier ceux qui interviennent à domicile selon une pratique minoritaire en France mais plus répandue dans les pays anglo-saxons.

Pour s’adapter à la maladie d’Alzheimer, la stratégie de l’évaluation doit posséder son propre dynamisme. Comme la fonction d’aidant qui ne requiert pas les mêmes qualités du début jusqu’au terme de la maladie, pour les cliniciens et thérapeutes, la première qualité attendue de l’évaluation de telle ou telle technique n’est pas qu’elle satisfasse à un niveau de preuve donné. C’est d’abord qu’elle soit conforme aux besoins des patients qui nous sont adressés. Pour y parvenir, nous devons encore approfondir notre connaissance de la réalité complexe de ces besoins et de ceux des aidants, en tenant compte de la variabilité des prises en charge familiales, conjugales et institutionnelles et de leur évolution dans le temps.  »

Références
1 Burns A, Guthrie E, Marino-Francis F, Busby C, Morris J, Russell E, et al. Brief psychotherapy in Alzheimer’s disease. Randomised controlled trial. Br J Psychiatry 2005 ; 187 : 143-7.
2 Anaes. Prise en charge non médicamenteuse de la maladie d’Alzheimer et des troubles apparentés. Paris : Anaes, 2003.
3 Dorenlot P. Démence et interventions non médicamenteuses : revue critique, bilan et perspectives. Psychol Neuropsychiatr Vieil 2006 ; 4 : 135-44.
4 Fishman G. Évaluation des psychothérapies selon les principes de l’Evidence-based medicine. Enjeux et scientificité du rapport de l’Inserm. Ann Med Psychol (Paris) 2005 ; 163 : 769-79.
5 Charazac P. Un art de la conversation. Le soutien psychique du patient atteint de la maladie d’Alzheimer. In : Pancrazi MP, Métais P, eds. Éthique et maladie d’Alzheimer. Paris : Dunod, 2006 ; à paraître.
6 Le Gouès G. Le psychanalyste et le vieillard. Paris : PUF, 1991.
7 Kitwood T. Dementia reconsidered. Buckingham-Philadelphie : Open University Press, 1997.
8 Grosclaude M. Présentation. Perspectives Psychiatriques 2000 ; 39 : 6-7.
9 Le Gouès G, Péruchon M. Ultimes processus de pensée. Rev Fr Psychanal 1992 ; 1 : 135-48.
10 Péruchon M. Le déclin de la vie psychique. Paris : Dunod, 1994.

Notes :
1 Ce travail était déjà écrit lorsque Pascale Dorenlot [3] a publié dans cette revue un article de synthèse où l’on trouvera une approche plus documentée de l’ensemble des interventions non médicamenteuses dans la maladie d’Alzheimer.
2 C’est moi qui souligne.
3 Id.
4 Les trois précédents colloques s’échelonnant entre 1994 et 1998 ont été publiés dans Psychologie Médicale 1995 ; 27 : 3 ; Psychothérapies des démences. Quels fondements ? Quels objectifs ? Paris : John Libbey Eurotext, 1997 ; La Revue Française de Psychiatrie et Psychologie Médicale 1998 ; 2 : 20.

Article paru le 01.12.2006, par Jérôme Pellissier
Auteur : Pierre Charazac, Département de gérontopsychiatrie Rive Gauche, Centre hospitalier Saint Jean de Dieu, Lyon.
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