Le sujet postmoderne entre symptôme et jouissance, de Régnier Pirard

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L’ouvrage de Régnier Pirard s’inscrit dans la lignée de travaux contemporains des quelques psychanalystes, dont Jean-Pierre Lebrun, Charles Melman, Roland Chemama pour ne citer que ceux-là, qui ont choisi d’interroger ce qui, au-delà de l’espace du divan, était à l’œuvre dans le lien social d’aujourd’hui. Il apporte ainsi sa pierre critique à un édifice conceptuel en construction, mais avec un style et un parcours singulier qui fait le précieux de cet ouvrage.

Il nous propose, dans un cheminement qui témoigne d’un travail sur de nombreuses années consacré à ces questions, une élaboration conceptuelle très étayée de ce qu’il nomme le sujet postmoderne. Entrant de plein pied dans la question de la nouvelle économie psychique, il pose dès son second chapitre, en jouant habilement de l’équivocité, la question sur laquelle il ne cessera de tisser son argumentaire pour dénoncer les travers et les illusions de la postmodernité : « ce passé du père ».

Faisant des allers-retours constants entre la clinique et le social, Régnier Pirard nous démontre de façon très convaincante ce qui se décline des différentes conséquences d’une progressive déchéance des noms du père qui va parfois jusqu’à la perte de toute référence à la fonction phallique. Il y dénonce par là même les illusions imaginaires d’un discours contemporain qui prône la jouissance, contre le désir.

Avec ce style qui lui est propre et laisse entendre un certain enthousiasme à cette tâche, Régnier Pirard nous interpelle de façon salutaire il me semble sur le travail qu’il y a à faire, sur la posture sur laquelle il n’y a pas à céder, pour singulièrement et collectivement se soutenir de notre désir d’analyste. Il invite à l’inventivité et à la créativité d’une psychanalyse capable de se renouveler, sans se dévoyer ou se perdre dans les modes ou facilités dogmatiques des establishments. Comme a su le faire Lacan à son époque pour soutenir le tranchant et l’efficace de sa discipline.

C’est en quoi cet ouvrage de Régnier Pirard apporte une certaine fraicheur, qui est également présente dans le fait que dans la reprise des travaux de nombre de ses collègues, il évite de façon très appropriée de céder à la tentation diagnostique, et nous invite plutôt à sa suite, à tenir le fil d’un questionnement rigoureux, toujours à renouveler, seule modalité permettant de faire la distinction entre imaginaire et réel. A ce propos, le débat à Nantes sur les perversions ordinaires, retranscrit dans cet ouvrage, laisse entendre comment il serait aisé de glisser d’un questionnement du réel, toujours difficile, à une dénonciation imaginaire beaucoup plus facile qui a plus ou moins les relents d’une revendication ou d’une plainte.

Les questions abordées dans cet ouvrage par Régnier Pirard sont nombreuses et pour nombre d’entre elles, il est tout à fait manifeste qu’elles mériteraient de plus amples développements, voire même un ouvrage spécifique (le renouvellement des relations hommes / femmes, les limites de la cure, ou encore la question de l’objet, comme l’actualité de la question de ce qui peut faire point de capiton). Tant de points et bien d’autres qui nécessiteraient des relectures, des séances de travail et des débats.

Cependant, de façon plus transversale, ce à quoi nous sommes invités, c’est également à entendre ici le travail d’un analyste qui chemine, disons de Freud à Lacan, et peut-être même dirais-je de Freud à Melman. Le sous-titre qui est proposé, « entre symptôme et jouissance » se lit différemment à la lecture de l’ensemble de ce texte. Il ne se lit plus comme une possible opposition entre le symptôme et la jouissance, mais plutôt comme un parcours qui va d’une lecture classique du symptôme, je veux dire freudienne, à une lecture renouvelée du champ de la jouissance, comme nous y invite aujourd’hui Charles Melman en parlant d’une nouvelle économie psychique.

Reste que la question se pose, en lisant ce nouvel ouvrage sur le délitement du lien social, de savoir si la dénonciation de la disparition de la référence à la fonction phallique, référence en partie freudienne, ne nous empêche pas de prendre toute la mesure du pas fait par Lacan, et poursuivi par Charles Melman. Ce pas, je dirais qu’il nous invite à nous orienter à partir de l’objet a et de la lettre, plutôt que du phallus et de la signification. Cela peut sembler évident dans la doctrine, mais j’y reviens parce qu’il n’est pas toujours évident que nous en prenions la mesure. La mesure qu’à partir de l’objet, de la lettre, aucune prétention anthropologique n’est possible. C’est peut-être ce qui ne nous incite pas à lâcher la référence au phallus, à une signifiance orientée par le S1. Si nous prenions vraiment la mesure de ce pas, peut-être serions plus prompt à apprendre de ces nouvelles modalités de jouissance qui se créent, qui s’inventent, en particulier dans les groupes de jeunes, à partir desquelles nous pourrions repenser notre praxis autrement. N’était-ce pas la démarche de Lacan avec Joyce, d’essayer d’en apprendre.

Car, comment font-il eux avec la jouissance, sans la référence phallique ? C’est une question, puisqu’il est tout à fait manifeste qu’ils ne sont pas psychotiques, comme le rappelle plusieurs fois Régnier Pirard. C’est, dans la suite de ses interpellations, une question qui les prolonge et s’articule à toutes celles qu’il nous adresse, en tant qu’analyste, mais aussi en tant que ce questionnement puisse se tenir de façon renouvelée dans les institutions d’analystes.

Site: freud-lacan.com, auteur : Jean-Luc Saint Just, le 08/09/2010

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