Périnatalité : l’impact de la dépression

Dans les familles en situation précaire, une intervention psychosociale autour de la naissance est efficace pour prévenir les troubles de comportement du jeune enfant », indique Antoine Guedeney, professeur de pédopsychiatrie à l’hôpital Bichat. C’est ce que révèlent les premiers résultats de l’étude Capdep, présentés le 5 octobre lors du congrès « Agir ensemble en périnatalité ». Organisé par la société Marcé avec le soutien de l’Inserm, ce congrès réunissait plus de 750 participants (psychiatres, psychologues, sages-femmes…) de 40 pays.

« C’est en 1945 qu’a été mise en place la Protection maternelle et infantile (PMI) sur tout le territoire », rappelle Antoine Guedeney. Dans ce cadre, 20 % des familles – celles qui le demandent ou présentent des facteurs de risque – bénéficient aujourd’hui de visites d’infirmières à domicile durant la période périnatale. Mais ce système ne suffit pas pour les familles en grande difficulté : foyers très isolés, mères très jeunes, à faible niveau d’éducation, qui élèvent seules leur enfant, sont exposées à un stress, ont un faible niveau total d’études et/ou des revenus très faibles. A ces familles, la PMI ne peut proposer qu’une à trois visites en moyenne.

Les enjeux d’une prévention précoce renforcée ? La santé de la mère, mais aussi celle de l’enfant et du futur adolescent. De nombreux travaux l’ont montré : l’exposition à un stress maternel avant ou après la naissance est associée à une augmentation chez l’enfant du risque de divers troubles, notamment cognitifs ou comportementaux.
Même après la naissance, un stress maternel peut être néfaste. Par exemple, les enfants dont la mère souffre de dépression six semaines après l’accouchement ont des scores cognitifs plus faibles à 2 ans, surtout lorsque cette dépression maternelle se prolonge ou rechute.

C’est ce qu’ont montré les résultats de l’étude Matquid, publiés en 2011 dans European Psychiatry par l’équipe d’Anne-Laure Sutter-Dallay (Inserm, pôle universitaire de psychiatrie adulte à Bordeaux).

Quelles stratégies de prévention mettre en place ? Vivette Glover, de l’Imperial College à Londres, plaide pour un dépistage renforcé des troubles anxio-dépressifs maternels autour de la grossesse. Et pour leur prise en charge par des thérapies psychocognitives adaptées : « dans les cas très sévères durant la grossesse, un traitement médicamenteux est inévitable à l’aide de molécules dont l’innocuité sur le foetus est établie. »

Une innocuité dont il faut effectivement bien s’assurer : publiée le 8 octobre dans les PNAS, une étude américaine montre comment la dépression maternelle durant la grossesse peut affecter le développement du langage des enfants à l’âge de 6 et 10 mois. Mais une prise en charge de la future mère par des antidépresseurs (des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine) a d’autres répercussions sur l’apprentissage du langage du bébé…

Dans l’étude Capdep, l’équipe d’Antoine Guedeney a exploré l’intérêt d’une intervention psychosociale précoce auprès de 415 familles de la région parisienne en grande précarité. L’âge moyen des mères était de 22,3 ans, 82 % avaient un faible niveau d’éducation, 52 % étaient nées hors de France, 48 % étaient en dessous du seuil de pauvreté.

Ces familles ont été réparties par tirage au sort en deux groupes : l’un bénéficiant d’un suivi comme d’habitude par la PMI, avec en plus pour l’autre des visites à domicile répétées par de jeunes psychologues, débutant entre le troisième trimestre de grossesse et jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Les interventions consistaient à faire connaître aux jeunes mères les aides dont elles pouvaient disposer et à les encourager à « prendre des choses en main »… Mais surtout, à les informer sur le développement de leur enfant et à les aider à exprimer leurs sentiments vis-à-vis du bébé et de leurs relations proches.

« Sur le taux de dépression postnatale des mères, les résultats ont été relativement décevants, bien que positifs », admet Antoine Guedeney. Ils ont été bien meilleurs sur le comportement d’attachement des enfants à l’âge de 18 mois. « Même si elles restaient déprimées, les jeunes mères ont modifié leur comportement de façon à procurer à leur bébé un attachement plus sécurisant. » Selon le pédopsychiatre, une telle prévention serait pérennisable à un coût raisonnable, en concertation avec la PMI et les dispositifs de santé mentale du jeune enfant.

LE MONDE le Par Florence Rosier

L’anxiété traverse le placenta

De 1990 à aujourd’hui, l’équipe de Vivette Glover (Imperial College, Londres) a suivi 7 363 enfants dans la région de Bristol. « Un niveau élevé d’anxiété ou de dépression maternelle, à la 18eet à la 32e semaine de grossesse, double le risque de troubles affectifs et comportementaux chez l’enfant de 13 ans », annonce la psycho-biologiste. Confirmant les observations réalisées aux âges de 4, 7 et 11 ans, ce résultat a été présenté au congrès Marcé. « Si la plupart des enfants nés de mères stressées durant la grossesse n’ont pas de problèmes, 12 % présentent de tels troubles, contre 6 % seulement dans la population générale », précise Vivette Glover. Quels peuvent être les mécanismes en cause ? « Le placenta laisse passer des quantités accrues de cortisol [l'hormone du stress] quand la mère est stressée. Et le niveau de cortisol dans le liquide amniotique apparaît associé à un taux plus élevé de troubles ultérieurs chez l’enfant », indique la chercheuse. Elle évoque aussi des processus de modifications chimiques de l’ADN, ou mécanismes « épigénomiques » – très en vogue dans le milieu scientifique.

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