Roselyne MOSSAND Psychothérapeute Lyon https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog www.psychotherapies-lyon.fr Thu, 22 Dec 2022 10:03:11 +0000 fr-FR hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.5 Scolarité: Il faut créer du lien avant tout https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/scolarite-il-faut-creer-du-lien-avant-tout.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/scolarite-il-faut-creer-du-lien-avant-tout.html#comments Mon, 18 Nov 2019 09:43:15 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=530 Continuer la lecture ]]> « Il faut créer du lien avant tout »
L’association Enfant et famille d’adoption a organisé, samedi dernier, une rencontre autour de la scolarité des enfants adoptés. Rencontre avec Roselyne Mossand, psychothérapeute et mère adoptive.

title-1572442631Roselyne Mossand a rappelé que l’enfant a besoin d’être aimé pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il fait. Photos S. A. (CLP)

Quels sont les principaux conseils à donner pour favoriser la scolarité des enfants adoptés ?

Quand l’enfant arrive, la scolarité ne doit pas être la priorité. L’enfant va très vite apprendre la langue et oublier sa langue maternelle. Mais avant d’entrer dans le système scolaire, il faut prendre le temps de créer du lien avec les parents et la cellule familiale proche. C’est seulement après qu’il faut parler de la scolarité. Quel que soit l’âge d’arrivée de l’enfant, il faut qu’il passe par un CP. Il est fortement déconseillé de mettre l’enfant dans une classe en fonction de son niveau d’âge. Il faut privilégier le niveau de ses capacités psychomotrices et psychoaffectives.

Constate-t-on des retards scolaires importants chez les enfants adoptés ?

La moitié des enfants adoptés ne rencontrent pas de difficultés majeures. Cependant, il est important d’engager un travail avec les enseignants afin de sécuriser tout le monde.

Quel climat est-il nécessaire de créer pour l’enfant ?

Il faut combler les besoins de sécurité, physique et affective, ce qui oblige le parent à proposer à l’enfant un cadre stable, permanent. L’enfant va croire davantage les gestes que les paroles, il faut donc faire des choses concrètes avec l’enfant. Ensuite, il faut développer la sensorialité avec les jeux, la base du système émotionnel. Les parents doivent exprimer leurs sentiments et faire exprimer leurs sentiments aux enfants afin d’engager une forme de mémorisation. Et pour les apprentissages, il ne faut pas hésiter à utiliser des objets médiateurs, comme par exemple un ballon pour apprendre les tables.

Que faut-il faire encore plus que pour les autres enfants ?

Il faut valoriser la moindre petite réussite pour que l’enfant gagne en confiance. Il est nécessaire d’offrir un cadre et des limites pour lui permettre de se structurer. Puis il est bon de créer des rituels, des routines afin de favoriser des ancrages temporels, ce qui participe au sentiment de sécurité dans la prévisibilité.

Quelques conseils en direction des parents ?

En tant que parent, il faut connaître ses propres limites et savoir faire appel. Il ne faut pas hésiter à se faire accompagner par des professionnels, rencontrer d’autres familles adoptives. Les parents doivent prendre soin d’eux et prendre du recul.

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Jacques Lacan : « La famille … » https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/jacques-lacan-la-famille.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/jacques-lacan-la-famille.html#comments Fri, 01 Feb 2013 21:01:56 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=136 Continuer la lecture ]]> Cet article de Lacan, écrit à la demande de Wallon est publié dans l’Encyclopédie Française, tome VIII, en mars 1938. On trouvera ci-dessous le plan de cet article reproduit à peu près tel qu’il figure dans l’édition originale : les intertitres furent imposés à Lacan par Lucien Febvre (responsable de l’Encyclopédie Française) et Henri Wallon (responsable du Tome VIII, intitulé : « La vie mentale »). Ce travail hors du commun a son histoire : se rapporter au memorandum de Lucien Febvre dont il est question dans Jacques Lacan de Elisabeth Roudinesco .

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DEUXIÈME PARTIE
CIRCONSTANCES ET OBJETS DE L’ACTIVITÉ PSYCHIQUE

SECTION A : LA FAMILLE

INTRODUCTION : L’INSTITUTION FAMILIALE Jacques-M. LACAN 8.40- 3
STRUCTURE CULTURELLE DE LA FAMILLE HUMAINE
La famille primitive : une institution

Chapitre I
LE COMPLEXE, FACTEUR CONCRET DE LA PSYCHOLOGIE FAMILIALE Jacques-M. LACAN 840- 5
Définition générale du complexe – Le complexe et l’instinct – Le complexe freudien et l’imago

1. Le complexe du sevrage 8.40- 6
Le sevrage, en tant qu’ablactation
Le sevrage, crise du psychisme
L’imago du sein maternel
Le sevrage : prématuration spécifique de la naissance
Le sentiment de la maternité – L’appétit de la mort – Le lien domestique – La nostalgie du Tout

2. Le complexe de l’intrusion 8.40- 8
LA JALOUSIE, ARCHETYPE DES SENTIMENTS SOCIAUX 8.40- 8
Identification mentale – L’imago du semblable – Le sens de l’agressivité primordiale
Le stade du miroir
Puissance seconde de l’image spéculaire – Structure narcissique du moi
LE DRAME DE LA JALOUSIE : LE MOI ET L’AUTRUI 8.40-10

3. Le complexe d’Œdipe 8.40-
Schéma du complexe – Valeur objective du complexe
La FAMILLE SELON Freud
Le complexe de castration
LES FONCTIONS DU COMPLEXE : REVISION PSYCHOLOGIQUE
Maturation de la sexualité
Constitution de la réalité
Répression de LA SEXUALITE
Sublimation DE LA REALITE
Originalité de l’identification œdipienne – L’imago du père
LE COMPLEXE ET LA RELATIVITE SOCIOLOGIQUE
Matriarcat et PATRIARCAT
L’homme MODERNE ET LA FAMILLE CONJUGALE
Rôle de la formation familiale – Déclin de l’imago paternelle

CHAPITRE II

LES COMPLEXES FAMILIAUX EN PATHOLOGIE Jacques-M. LACAN 8.42-
1. Les psychoses à thème familial
Fonction DES COMPLEXES DANS LES DELIRES
Réactions familiales – Thèmes familiaux
Déterminisme DE LA PSYCHOSE
Facteurs familiaux
2. Les névroses familiales 8.42- 3
Symptôme névrotique et drame individuel – De l’expression du refoulé à la défense contre l’angoisse – Déformations spécifiques de la réalité humaine – Le drame existentiel de l’individu – La forme dégradée de l’Œdipe
Névroses DE TRANSFERT
L’hystérie – La névrose obsessionnelle
Névroses DE CARACTERE
La névrose d’autopunition – Introversion de la personnalité et schizonoïa – Inversion de la sexualité – Prévalence du principe mâle

SECTION B : L’ÉCOLE

SECTION C : LA PROFESSION

SECTION D : VIE QUOTIDIENNE ET VIE PUBLIQUE

(8.40-3)SECTION A : LA FAMILLE

INTRODUCTION : L’INSTITUTION FAMILIALE
La famille paraît d’abord comme un groupe naturel d’individus unis par une double relation biologique : la génération, qui donne les composants du groupe ; les conditions de milieu que postule le développement des jeunes et qui maintiennent le groupe pour autant que les adultes générateurs en assurent la fonction. Dans les espèces animales, cette fonction donne lieu à des comportements instinctifs, souvent très complexes. On a dû renoncer à faire dériver des relations familiales ainsi définies les autres phénomènes sociaux observés chez les animaux. Ces derniers apparaissent au contraire si distincts des instincts familiaux que les chercheurs les plus récents les rapportent à un instinct original, dit d’interattraction.

STRUCTURE CULTURELLE DE LA FAMILLE HUMAINE

L’espèce humaine se caractérise par un développement singulier des relations sociales, que soutiennent des capacités exceptionnelles de communication mentale, et corrélativement par une économie paradoxale des instincts qui s’y montrent essentiellement susceptibles de conversion et d’inversion et n’ont plus d’effet isolable que de façon sporadique. Des comportements adaptatifs d’une variété infinie sont ainsi permis. Leur conservation et leur progrès, pour dépendre de leur communication, sont avant tout œuvre collective et constituent la culture ; celle-ci introduit une nouvelle dimension dans la réalité sociale et dans la vie psychique. Cette dimension spécifie la famille humaine comme, du reste, tous les phénomènes sociaux chez l’homme.
Si, en effet, la famille humaine permet d’observer, dans les toutes premières phases des fonctions maternelles, par exemple, quelques traits de comportement instinctif, identifiables à ceux de la famille biologique, il suffit de réfléchir à ce que le sentiment de la paternité doit aux postulats spirituels qui ont marqué son développement, pour comprendre qu’en ce domaine les instances culturelles dominent les naturelles, au point qu’on ne peut tenir pour paradoxaux les cas où, comme dans l’adoption, elles s’y substituent.
Cette structure culturelle de la famille humaine est-elle entièrement accessible aux méthodes de la psychologie concrète : observation et analyse ? Sans doute, ces méthodes suffisent-elles à mettre en évidence des traits essentiels, comme la structure hiérarchique de la famille, et à reconnaître en elle l’organe privilégié de cette contrainte de l’adulte sur l’enfant, contrainte à laquelle l’homme doit une étape originale et les bases archaïques de sa formation morale.
Mais d’autres traits objectifs : les modes d’organisation de cette autorité familiale, les lois de sa transmission, les concepts de la descendance et de la parenté qui lui sont joints, les lois de l’héritage et de la succession qui s’y combinent, enfin ses rapports intimes avec les lois du mariage – obscurcissent en les enchevêtrant les relations psychologiques. Leur interprétation devra alors s’éclairer des données comparées de l’ethnographie, de l’histoire, du droit et de la statistique sociale. Coordonnées par la méthode sociologique, ces données établissent que la famille humaine est une institution. L’analyse psychologique doit s’adapter à cette structure complexe et n’a que faire des tentatives philosophiques qui ont pour objet de réduire la famille humaine soit à un fait biologique, soit à un élément théorique de la société.
Ces tentatives ont pourtant leur principe dans certaines apparences du phénomène familial ; pour illusoires que soient ces apparences, elles méritent qu’on s’y arrête, car elles reposent sur des convergences réelles entre des causes hétérogènes. Nous en décrirons le mécanisme sur deux points toujours litigieux pour le psychologue.
Hérédité psychologique. – Entre tous les groupes humains, la famille joue un rôle primordial dans la transmission de la culture. Si les traditions spirituelles, la garde des rites et des coutumes, la conservation des techniques et du patrimoine lui sont disputées par d’autres groupes sociaux, la famille prévaut dans la première éducation, la répression des instincts, l’acquisition de la langue justement nommée maternelle. Par là elle préside aux processus fondamentaux du développement psychique, à cette organisation des émotions selon des types conditionnés par l’ambiance, qui est la base des sentiments selon Shand ; plus largement, elle transmet des structures de comportement et de représentation dont le jeu déborde les limites de la conscience.
Elle établit ainsi entre les générations une continuité psychique dont la causalité est d’ordre mental. Cette continuité, si elle révèle l’artifice de ses fondements dans les concepts mêmes qui définissent l’unité de lignée, depuis le totem jusqu’au nom patronymique, ne se manifeste pas moins par la transmission à la descendance de dispositions psychiques qui confinent à l’inné ; Conn a créé pour ces effets le terme d’hérédité sociale. Ce terme, assez impropre en son ambiguïté, a du moins le mérite de signaler combien il est difficile au psychologue de ne pas majorer l’importance du biologique dans les faits dits d’hérédité psychologique.
(8.40-4)Parenté biologique. – Une autre similitude, toute contingente, se voit dans le fait que les composants normaux de la famille telle qu’on l’observe de nos jours en Occident : le père, la mère et les enfants, sont les mêmes que ceux de la famille biologique. Cette identité n’est rien de plus qu’une égalité numérique. Mais l’esprit est tenté d’y reconnaître une communauté de structure directement fondée sur la constance des instincts, constance qu’il lui faut alors retrouver dans les formes primitives de la famille. C’est sur ces prémisses qu’ont été fondées des théories purement hypothétiques de la famille primitive, tantôt à l’image de la promiscuité observable chez les animaux, par des critiques subversifs de l’ordre familial existant ; tantôt sur le modèle du couple stable, non moins observable dans l’animalité, par des défenseurs de l’institution considérée comme cellule sociale.
La famille primitive : une institution.
Les théories dont nous venons de parler ne sont appuyées sur aucun fait connu. La promiscuité présumée ne peut être affirmée nulle part, même pas dans les cas dits de mariage de groupe : dès l’origine existent interdictions et lois. Les formes primitives de la famille ont les traits essentiels de ses formes achevées : autorité sinon concentrée dans le type patriarcal, du moins représentée par un conseil, par un matriarcat ou ses délégués mâles ; mode de parenté, héritage, succession, transmis, parfois distinctement (Rivers), selon une lignée paternelle ou maternelle. Il s’agit bien là de familles humaines dûment constituées. Mais loin qu’elles nous montrent la prétendue cellule sociale, on voit dans ces familles, à mesure qu’elles sont plus primitives, non seulement un agrégat plus vaste de couples biologiques, mais surtout une parenté moins conforme aux liens naturels de consanguinité.
Le premier point est démontré par Durkheim et par Fauconnet après lui, sur l’exemple historique de la famille romaine ; à l’examen des noms de famille et du droit successoral, on découvre que trois groupes sont apparus successivement, du plus vaste au plus étroit : la gens, agrégat très vaste de souches paternelles ; la famille agnatique, plus étroite mais indivise ; enfin la famille qui soumet à la patria potestas de l’aïeul les couples conjugaux de tous ses fils et petits-fils.
Pour le second point, la famille primitive méconnaît les liens biologiques de la parenté : méconnaissance seulement juridique dans la partialité unilinéale de la filiation ; mais aussi ignorance positive ou peut-être méconnaissance systématique (au sens de paradoxe de la croyance que la psychiatrie donne à ce terme), exclusion totale de ces liens qui, pour ne pouvoir s’exercer qu’à l’égard de la paternité, s’observerait dans certaines cultures matriarcales (Rivers et Malinovski). En outre la parenté n’est reconnue que par le moyen de rites qui légitiment les liens du sang et au besoin en créent de fictifs : faits du totémisme, adoption, constitution artificielle d’un groupement agnatique comme la zadruga slave. De même, d’après notre code, la filiation est démontrée par le mariage.
À mesure qu’on découvre des formes plus primitives de la famille humaine, elles s’élargissent en groupements qui, comme le clan, peuvent être aussi considérés comme politiques. Que si l’on transfère dans l’inconnu de la préhistoire la forme dérivée de la famille biologique pour en faire naître par association ni naturelle ou artificielle ces groupements, c’est là une hypothèse contre laquelle échoue la preuve, mais qui est d’autant moins probable que les zoologistes refusent – nous l’avons vu – d’accepter une telle genèse pour les sociétés animales elles-mêmes.
D’autre part, si l’extension et la structure des groupements familiaux primitifs n’excluent pas l’existence en leur sein de familles limitées à leurs membres biologiques – le fait est aussi incontestable que celui de la reproduction bisexuée –, la forme ainsi arbitrairement isolée ne peut rien nous apprendre de sa psychologie et on ne peut l’assimiler à la forme familiale actuellement existante.
Le groupe réduit que compose la famille moderne ne parait pas, en effet, à l’examen, comme une simplification mais plutôt comme une contraction de l’institution familiale. Il montre une structure profondément complexe, dont plus d’un point s’éclaire bien mieux par les institutions positivement connues de la famille ancienne que par l’hypothèse d’une famille élémentaire qu’on ne saisit nulle part. Ce n’est pas dire qu’il soit trop ambitieux de chercher dans cette forme complexe un sens qui l’unifie et peut-être dirige son évolution. Ce sens se livre précisément quand, à la lumière de cet examen comparatif, on saisit le remaniement profond qui a conduit l’institution familiale à sa forme actuelle ; on reconnaît du même coup qu’il faut l’attribuer à l’influence prévalente que prend ici le mariage, institution qu’on doit distinguer de la famille. D’où l’excellence du terme « famille conjugale », par lequel Durkheim la désigne.

(8.40.-5)CHAPITRE I

LE COMPLEXE, FACTEUR CONCRET
DE LA PSYCHOLOGIE FAMILIALE

C’est dans l’ordre original de réalité que constituent les relations sociales qu’il faut comprendre la famille humaine. Si, pour asseoir ce principe, nous avons eu recours aux conclusions de la sociologie, bien que la somme des faits dont elle l’illustre déborde notre sujet, c’est que l’ordre de réalité en question est l’objet propre de cette science. Le principe est ainsi posé sur un plan où il a sa plénitude objective. Comme tel, il permettra de juger selon leur vraie portée les résultats actuels de la recherche psychologique. Pour autant, en effet, qu’elle rompt avec les abstractions académiques et vise, soit dans l’observation du behaviour soit par l’expérience de la psychanalyse, à rendre compte du concret, cette recherche, spécialement quand elle s’exerce sur les faits de « la famille comme objet et circonstance psychique », n’objective jamais des instincts, mais toujours des complexes.
Ce résultat n’est pas le fait contingent d’une étape réductible de la théorie ; il faut y reconnaître, traduit en termes psychologiques mais conforme au principe préliminairement posé, ce caractère essentiel de l’objet étudié : son conditionnement par des facteurs culturels, aux dépens des facteurs naturels.
Définition générale du complexe. – Le complexe, en effet, lie sous une forme fixée un ensemble de réactions qui peut intéresser toutes les fonctions organiques depuis l’émotion jusqu’à la conduite adaptée à l’objet. Ce qui définit le complexe, c’est qu’il reproduit une certaine réalité de l’ambiance, et doublement. 1° Sa forme représente cette réalité en ce qu’elle a d’objectivement distinct à une étape donnée du développement psychique ; cette étape spécifie sa genèse. 2° Son activité répète dans le vécu la réalité ainsi fixée, chaque fois que se produisent certaines expériences qui exigeraient une objectivation supérieure de cette réalité ; ces expériences spécifient le conditionnement du complexe.
Cette définition à elle seule implique que le complexe est dominé par des facteurs culturels : dans son contenu, représentatif d’un objet ; dans sa forme, liée à une étape vécue de l’objectivation ; enfin dans sa manifestation de carence objective à l’égard d’une situation actuelle, c’est-à-dire sous son triple aspect de relation de connaissance, de forme d’organisation affective et d’épreuve au choc du réel, le complexe se comprend par sa référence à l’objet. Or, toute identification objective exige d’être communicable, c’est-à-dire repose sur un critère culturel ; c’est aussi par des voies culturelles qu’elle est le plus souvent communiquée. Quant à l’intégration individuelle des formes d’objectivation, elle est l’œuvre d’un procès dialectique qui fait surgir chaque forme nouvelle des conflits de la précédente avec le réel. Dans ce procès il faut reconnaître le caractère qui spécifie l’ordre humain, à savoir cette subversion de toute fixité instinctive, d’où surgissent les formes fondamentales, grosses de variations infinies, de la culture.

Le complexe et l’instinct. – Si le complexe dans son plein exercice est du ressort de la culture, et si c’est là une considération essentielle pour qui veut rendre compte des faits psychiques de la famille humaine, ce n’est pas dire qu’il n’y ait pas de rapport entre le complexe et l’instinct. Mais, fait curieux, en raison des obscurités qu’oppose à la critique de la biologie contemporaine le concept de l’instinct, le concept du complexe, bien que récemment introduit, s’avère mieux adapté à des objets plus riches ; c’est pourquoi, répudiant l’appui que l’inventeur du complexe croyait devoir chercher dans le concept classique de l’instinct, nous croyons que, par un renversement théorique, c’est l’instinct qu’on pourrait éclairer actuellement par sa référence au complexe.
Ainsi pourrait-on confronter point par point : 1° la relation de connaissance qu’implique le complexe, à cette connaturalité de l’organisme à l’ambiance où sont suspendues les énigmes de l’instinct ; 2° la typicité générale du complexe en rapport avec les lois d’un groupe social, à la typicité générique de l’instinct en rapport avec la fixité de l’espèce ; 3° le protéisme des manifestations du complexe qui, sous des formes équivalentes d’inhibition, de compensation, de méconnaissance, de rationalisation, exprime la stagnation devant un même objet, à la stéréotypie des phénomènes de l’instinct, dont l’activation, soumise à la loi du « tout ou rien », reste rigide aux variations de la situation vitale. Cette stagnation dans le complexe tout autant que cette rigidité dans l’instinct – tant qu’on les réfère aux seuls postulats de l’adaptation vitale, déguisement mécaniste du finalisme, on se condamne à en faire des énigmes ; leur problème exige l’emploi des concepts plus riches qu’impose l’étude de la vie psychique.

Le complexe Freudien et l’imago. – Nous avons défini le complexe dans un sens très large qui n’exclut pas que le sujet ait conscience de ce qu’il représente. Mais c’est comme facteur essentiellement inconscient qu’il fut d’abord défini par Freud. Son unité est en effet frappante sous cette forme, où elle se révèle comme la cause d’effets psychiques non dirigés par la conscience, actes manqués, rêves, symptômes. Ces effets ont des caractères tellement distincts et contingents qu’ils forcent d’admettre comme élément fondamental du complexe cette entité paradoxale : une représentation inconsciente, désignée sous le nom d’imago. Complexes et imago ont révolutionné la psychologie et spécialement celle de la famille qui s’est révélée comme le lieu d’élection des complexes les plus (8.40–6)stables et les plus typiques : de simple sujet de paraphrases moralisantes, la famille est devenue l’objet d’une analyse concrète.
Cependant les complexes se sont démontrés comme jouant un rôle d’ « organiseurs » dans le développement psychique ; ainsi dominent-ils les phénomènes qui, dans la conscience, semblent les mieux intégrés à la personnalité ; ainsi sont motivées dans l’inconscient non seulement des justifications passionnelles, mais d’objectivables rationalisations. La portée de la famille comme objet et circonstance psychique s’en est du même coup trouvée accrue.
Ce progrès théorique nous a incité à donner du complexe une formule généralisée, qui permette d’y inclure les phénomènes conscients de structure semblable. Tels les sentiments où il faut voir des complexes émotionnels conscients, les sentiments familiaux spécialement étant souvent l’image inversée de complexes inconscients. Telles aussi les croyances délirantes, où le sujet affirme un complexe comme une réalité objective ; ce que nous montrerons particulièrement dans les psychoses familiales. Complexes, imagos, sentiments et croyances vont être étudiés dans leur rapport avec la famille et en fonction du développement psychique qu’ils organisent depuis l’enfant élevé dans la famille jusqu’à l’adulte qui la reproduit.

1. – Le complexe du sevrage

Le complexe du sevrage fixe dans le psychisme la relation du nourrissage, sous le mode parasitaire qu’exigent les besoins du premier âge de l’homme ; il représente la forme primordiale de l’imago maternelle. Partant, il fonde les sentiments les plus archaïques et les plus stables qui unissent l’individu à la famille. Nous touchons ici au complexe le plus primitif du développement psychique, à celui qui se compose avec tous les complexes ultérieurs ; il n’est que plus frappant de le voir entièrement dominé par des facteurs culturels et ainsi, dès ce stade primitif, radicalement différent de l’instinct.

Le sevrage en tant qu’ablactation. – Il s’en rapproche pourtant par deux caractères : le complexe du sevrage, d’une part, se produit avec des traits si généraux dans toute l’étendue de l’espèce qu’on peut le tenir pour générique ; d’autre part, il représente dans le psychisme une fonction biologique, exercée par un appareil anatomiquement différencié : la lactation. Aussi comprend-on qu’on ait voulu rapporter à un instinct, même chez l’homme, les comportements fondamentaux, qui lient la mère à l’enfant. Mais c’est négliger un caractère essentiel de l’instinct : sa régulation physiologique manifeste dans le fait que l’instinct maternel cesse d’agir chez l’animal quand la fin du nourrissage est accomplie.
Chez l’homme, au contraire, c’est une régulation culturelle qui conditionne le sevrage. Elle y apparaît comme dominante, même si on le limite au cycle de l’ablactation proprement dite, auquel répond pourtant la période physiologique de la glande commune à la classe des Mammifères. Si la régulation qu’on observe en réalité n’apparaît comme nettement contre nature que dans des pratiques arriérées – qui ne sont pas toutes en voie de désuétude – ce serait céder à une illusion grossière que de chercher dans la physiologie la base instinctive de ces règles, plus conformes à la nature, qu’impose au sevrage comme à l’ensemble des mœurs l’idéal des cultures les plus avancées. En fait, le sevrage, par l’une quelconque des contingences opératoires qu’il comporte, est souvent un traumatisme psychique dont les effets individuels, anorexies dites mentales, toxicomanies par la bouche, névroses gastriques, révèlent leurs causes à la psychanalyse.

Le sevrage, crise du psychisme. – Traumatisant ou non, le sevrage laisse dans le psychisme humain la trace permanente de la relation biologique qu’il interrompt. Cette crise vitale se double en effet d’une crise du psychisme, la première sans doute dont la solution ait une structure dialectique. Pour la première fois, semble-t-il, une tension vitale se résout en intention mentale. Par cette intention, le sevrage est accepté ou refusé ; l’intention certes est fort élémentaire, puisqu’elle ne peut pas même être attribuée à un moi encore à l’état de rudiments ; l’acceptation ou le refus ne peuvent être conçus comme un choix, puisqu’en l’absence d’un moi qui affirme ou nie ils ne sont pas contradictoires ; mais, pôles coexistants et contraires, ils déterminent une attitude ambivalente par essence, quoique l’un d’eux y prévale. Cette ambivalence primordiale, lors des crises qui assurent la suite du développement, se résoudra en différenciations psychiques d’un niveau dialectique de plus en plus élevé et d’une irréversibilité croissante. La prévalence originelle y changera plusieurs fois de sens et pourra de ce fait y subir des destinées très diverses ; elle s’y retrouvera pourtant et dans le temps et dans le ton, à elle propres, qu’elle imposera et à ces crises et aux catégories nouvelles dont chacune dotera le vécu.

L’IMAGO DU SEIN MATERNEL

C’est le refus du sevrage qui fonde le positif du complexe, à savoir l’imago de la relation nourricière qu’il tend à rétablir. Cette imago est donnée dans son contenu par les sensations propres au premier âge, mais n’a de forme qu’à mesure qu’elles s’organisent mentalement. Or, ce stade étant antérieur à l’avènement de la forme de l’objet, il ne semble pas que ces contenus puissent se représenter dans la conscience. Ils s’y reproduisent pourtant dans les structures mentales qui modèlent, avons-nous dit, les expériences psychiques ultérieures. Ils seront réévoqués par association à l’occasion de celles-ci, mais inséparables des contenus objectifs qu’ils auront informés. Analysons ces contenus et ces formes.
L’étude du comportement de la prime enfance permet d’affirmer que les sensations extéro-, proprio- et intéroceptives ne sont pas encore, après le douzième mois, suffisamment coordonnées pour que soit achevée la reconnaissance du corps propre, ni corrélativement la notion de ce qui lui est extérieur.

Forme extéroceptive : la présence humaine. – Très tôt pourtant, certaines sensations extéroceptives s’isolent sporadiquement en unités de perception. Ces éléments d’objets répondent, comme il est à prévoir, aux premiers intérêts affectifs. En témoignent la précocité et l’électivité des réactions de l’enfant à l’approche et au départ des personnes qui prennent soin de lui. Il faut pourtant mentionner à part, comme un fait de (8’40-7)structure, la réaction d’intérêt que l’enfant manifeste devant le visage humain : elle est extrêmement précoce, s’observant dès les premiers jours et avant même que les coordinations motrices des yeux soient achevées. Ce fait ne peut être détaché du progrès par lequel le visage humain prendra toute sa valeur d’expression psychique. Cette valeur, pour être sociale, ne peut être tenue pour conventionnelle. La puissance réactivée, souvent sous un mode ineffable, que prend le masque humain dans les contenus mentaux des psychoses, parait témoigner de l’archaïsme de sa signification.
Quoi qu’il en soit, ces réactions électives permettent de concevoir chez l’enfant une certaine connaissance très précoce de la présence qui remplit la fonction maternelle, et le rôle de traumatisme causal, que dans certaines névroses et certains troubles du caractère, peut jouer une substitution de cette présence. Cette connaissance, très archaïque et pour laquelle semble fait le calembour claudélien de « co-naissance », se distingue à peine de l’adaptation affective. Elle reste tout engagée dans la satisfaction des besoins propres au premier âge et dans l’ambivalence typique des relations mentales qui s’y ébauchent. Cette satisfaction apparaît avec les signes de la plus grande plénitude dont puisse être comblé le désir humain, pour peu qu’on considère l’enfant attaché à la mamelle.

Satisfaction proprioceptive : la fusion orale. – Les sensations proprioceptives de la succion et de la préhension font évidemment la base de cette ambivalence du vécu, qui ressort de la situation même : l’être qui absorbe est tout absorbé et le complexe archaïque lui répond dans l’embrassement maternel. Nous ne parlerons pas ici avec FREUD d’auto-érotisme, puisque le moi n’est pas constitué, ni de narcissisme, puisqu’il n’y a pas d’image du moi ; bien moins encore d’érotisme oral, puisque la nostalgie du sein nourricier, sur laquelle a équivoqué l’école psychanalytique, ne relève du complexe du sevrage qu’à travers son remaniement par le complexe d’Œdipe. « Cannibalisme », mais cannibalisme fusionnel, ineffable, à la fois actif et passif, toujours survivant dans les jeux et mots symboliques, qui, dans l’amour le plus évolué, rappellent le désir de la larve, – nous reconnaîtrons en ces termes le rapport à la réalité sur lequel repose l’imago maternelle.

Malaise intéroceptif : l’imago prénatale. – Cette base elle-même ne peut être détachée du chaos des sensations intéroceptives dont elle émerge. L’angoisse, dont le prototype apparaît dans l’asphyxie de la naissance, le froid, lié à la nudité du tégument, et le malaise labyrinthique auquel répond la satisfaction du bercement, organisent par leur triade le ton pénible de la vie organique qui, pour les meilleurs observateurs, domine les six premiers mois de l’homme. Ces malaises primordiaux ont tous la même cause : une insuffisante adaptation à la rupture des conditions d’ambiance et de nutrition qui font l’équilibre parasitaire de la vie intra-utérine.
Cette conception s’accorde avec ce que, à l’expérience, la psychanalyse trouve comme fonds dernier de l’imago du sein maternel : sous les fantasmes du rêve comme sous les obsessions de la veille se dessinent avec une impressionnante précision les images de l’habitat intra-utérin et du seuil anatomique de la vie extra-utérine. En présence des données de la physiologie et du fait anatomique de la non-myélinisation des centres nerveux supérieurs chez le nouveau-né, il est pourtant impossible de faire de la naissance, avec certains psychanalystes, un traumatisme psychique. Dès lors cette forme de l’imago resterait une énigme si l’état postnatal de l’homme ne manifestait, par son malaise même, que l’organisation posturale, tonique, équilibratoire, propre à la vie intra-utérine, survit à celle-ci.

LE SEVRAGE : PREMATURATION SPECIFIQUE DE LA NAISSANCE

Il faut remarquer que le retard de la dentition et de la marche, un retard corrélatif de la plupart des appareils et des fonctions, déterminent chez l’enfant une impuissance vitale totale qui dure au delà des deux premières années. Ce fait doit-il être tenu pour solidaire de ceux qui donnent au développement somatique ultérieur de l’homme son caractère d’exception par rapport aux animaux de sa classe : la durée de la période d’enfance et le retard de la puberté ? Quoi qu’il en soit, il ne faut pas hésiter à reconnaître au premier âge une déficience biologique positive, et à considérer l’homme comme un animal à naissance prématurée. Cette conception explique la généralité du complexe, et qu’il soit indépendant des accidents de l’ablactation. Celle-ci – sevrage au sens étroit – donne son expression psychique, la première et aussi la plus adéquate, à l’imago plus obscure d’un sevrage plus ancien, plus pénible et d’une plus grande ampleur vitale : celui qui, à la naissance, sépare l’enfant de la matrice, séparation prématurée d’où provient un malaise que nul soin maternel ne peut compenser. Rappelons en cet endroit un fait pédiatrique connu, l’arriération affective très spéciale qu’on observe chez les enfants nés avant terme.

Le sentiment de la maternité. – Ainsi constituée, l’imago du sein maternel domine toute la vie de l’homme. De par son ambivalence pourtant, elle peut trouver à se saturer dans le renversement de la situation qu’elle représente, ce qui n’est réalisé strictement qu’à la seule occasion de la maternité. Dans l’allaitement, l’étreinte et la contemplation de l’enfant, la mère, en même temps, reçoit et satisfait le plus primitif de tous les désirs. Il n’est pas jusqu’à la tolérance de la douleur de l’accouchement qu’on ne puisse comprendre comme le fait d’une compensation représentative du premier apparu des phénomènes affectifs : l’angoisse, née avec la vie. Seule l’imago qui imprime au plus profond du psychisme le sevrage congénital de l’homme, peut expliquer la puissance, la richesse et la durée du sentiment maternel. La réalisation de cette imago dans la conscience assure à la femme une satisfaction psychique privilégiée, cependant que ses effets dans la conduite de la mère préservent l’enfant de l’abandon qui lui serait fatal.

En opposant le complexe à l’instinct, nous ne dénions pas au complexe tout fondement biologique, et en le définissant par certains rapports idéaux, nous le relions pourtant à sa base matérielle. Cette base, c’est la fonction qu’il assure dans le groupe social ; et ce fondement biologique, on le voit dans la dépendance vitale de l’individu par rapport au groupe. Alors que l’instinct a un support organique et n’est rien d’autre que la régulation de celui-ci dans une fonction vitale, le complexe n’a qu’à l’occasion un rapport organique, quand il supplée à une insuffisance vitale par la régulation d’une fonction sociale. Tel est le cas du complexe du sevrage. Ce rapport organique explique que l’imago de la mère tienne aux profondeurs du psychisme et que sa sublimation soit particulièrement difficile, comme il est manifeste dans l’attachement de l’enfant « aux jupes de sa mère » et dans la durée parfois anachronique de ce lien.
L’imago pourtant doit être sublimée pour que de nouveaux rapports s’introduisent avec le groupe social, pour que de nouveaux complexes les intègrent au psychisme. Dans la mesure où elle résiste à ces exigences nouvelles, qui sont celles du progrès de la personnalité, l’imago, salutaire à l’origine, devient facteur de mort.

L’appétit de la mort. – Que la tendance à la mort soit vécue par l’homme comme objet d’un appétit, c’est là une réalité que l’analyse fait apparaître à tous les niveaux du psychisme ; cette réalité, il appartenait à l’inventeur de la psychanalyse d’en reconnaître le caractère irréductible, mais l’explication qu’il en a donnée par un instinct de mort, pour éblouissante (8*40 –8)qu’elle soit, n’en reste pas moins contradictoire dans les termes ; tellement il est vrai que le génie même, chez Freud, cède au préjugé du biologiste qui exige que toute tendance se rapporte à un instinct. Or, la tendance à la mort, qui spécifie le psychisme de l’homme, s’explique de façon satisfaisante par la conception que nous développons ici, à savoir que le complexe, unité fonctionnelle de ce psychisme, ne répond pas à des fonctions vitales mais à l’insuffisance congénitale de ces fonctions.
Cette tendance psychique à la mort, sous la forme originelle que lui donne le sevrage, se révèle dans des suicides très spéciaux qui se caractérisent comme « non violents », en même temps qu’y apparaît la forme orale du complexe : grève de la faim de l’anorexie mentale, empoisonnement lent de certaines toxicomanies par la bouche, régime de famine des névroses gastriques. L’analyse de ces cas montre que, dans son abandon à la mort, le sujet cherche à retrouver l’imago de la mère. Cette association mentale n’est pas seulement morbide. Elle est générique, comme il se voit dans la pratique de la sépulture, dont certains modes manifestent clairement le sens psychologique de retour au sein de la mère ; comme le révèlent encore les connexions établies entre la mère et la mort, tant par les techniques magiques que par les conceptions des théologies antiques ; comme on l’observe enfin dans toute expérience psychanalytique assez poussée.

Le lien domestique. – Même sublimée, l’imago du sein maternel continue à jouer un rôle psychique important pour notre sujet. Sa forme la plus soustraite à la conscience, celle de l’habitat prénatal, trouve dans l’habitation et dans son seuil, surtout dans leurs formes primitives, la caverne, la hutte, un symbole adéquat.

Par là, tout ce qui constitue l’unité domestique du groupe familial devient pour l’individu, à mesure qu’il est plus capable de l’abstraire, l’objet d’une affection distincte de celles qui l’unissent à chaque membre de ce groupe. Par là encore, l’abandon des sécurités que comporte l’économie familiale a la portée d’une répétition du sevrage et ce n’est, le plus souvent, qu’à cette occasion que le complexe est suffisamment liquidé. Tout retour, fut-il partiel, à ces sécurités, peut déclencher dans le psychisme des ruines sans proportion avec le bénéfice pratique de ce retour.
Tout achèvement de la personnalité exige ce nouveau sevrage. Hegel formule que l’individu qui ne lutte pas pour être reconnu hors du groupe familial, n’atteint jamais à la personnalité avant la mort. Le sens psychologique de cette thèse apparaîtra dans la suite de notre étude. En fait de dignité personnelle, ce n’est qu’à celle des entités nominales que la famille promeut l’individu et elle ne le peut qu’à l’heure de la sépulture.

La nostalgie du Tout. – La saturation du complexe fonde le sentiment maternel ; sa sublimation contribue au sentiment familial ; sa liquidation laisse des traces où on peut la reconnaître : c’est cette structure de l’imago qui reste à la base des progrès mentaux qui l’ont remaniée. S’il fallait définir la forme la plus abstraite où on la retrouve, nous la caractériserions ainsi : une assimilation parfaite de la totalité à l’être. Sous cette formule d’aspect un peu philosophique, on reconnaîtra ces nostalgies de l’humanité : mirage métaphysique de l’harmonie universelle, abîme mystique de la fusion affective, utopie sociale d’une tutelle totalitaire, toutes sorties de la hantise du paradis perdu d’avant la naissance et de la plus obscure aspiration à la mort.

2. – Le complexe de l’intrusion

La JALOUSIE, ARCHETYPE DES SENTIMENTS SOCIAUX

Le complexe de l’intrusion représente l’expérience que réalise le sujet primitif, le plus souvent quand il voit un ou plusieurs de ses semblables participer avec lui à la relation domestique, autrement dit, lorsqu’il se connaît des frères. Les conditions en seront donc très variables, d’une part selon les cultures et l’extension qu’elles donnent au groupe domestique, d’autre part selon les contingences individuelles, et d’abord selon la place que le sort donne au sujet dans l’ordre des naissances, selon la position dynastique, peut-on dire, qu’il occupe ainsi avant tout conflit : celle de nanti ou celle d’usurpateur.
La jalousie infantile a dès longtemps frappé les observateurs : « J’ai vu de mes yeux, dit Saint Augustin, et bien observé un tout-petit en proie à la jalousie : il ne parlait pas encore et il ne pouvait sans pâlir arrêter son regard au spectacle amer de son frère de lait » (Confessions, I, VII). Le fait ici révélé à l’étonnement du moraliste resta longtemps réduit à la valeur d’un thème de rhétorique, utilisable à toutes fins apologétiques.
L’observation expérimentale de l’enfant et les investigations psychanalytiques, en démontrant la structure de la jalousie infantile, ont mis au jour son rôle dans la genèse de la sociabilité et, par là, de la connaissance elle-même en tant qu’humaine. Disons que le point critique révélé par ces recherches est que la jalousie, dans son fonds, représente non pas une rivalité vitale mais une identification mentale.

Identification mentale. – Des enfants entre 6 mois et 2 ans étant confrontés par couple et sans tiers et laissés à leur spontanéité ludique, on peut constater le fait suivant : entre les enfants ainsi mis en présence apparaissent des réactions diverses où semble se manifester une communication. Parmi ces réactions un type se distingue, du fait qu’on peut y reconnaître une rivalité objectivement définissable : il comporte en effet entre les sujets une certaine adaptation des postures et des gestes, à savoir une conformité dans leur alternance, une convergence dans leur série, qui les ordonnent en provocations et ripostes et permettent d’affirmer, sans préjuger de la conscience des sujets, qu’ils réalisent la situation comme à double issue, comme une alternative. Dans la mesure même de cette adaptation, on peut admettre que dès ce stade s’ébauche la reconnaissance d’un rival, c’est-à-dire d’un « autre » comme objet. Or, si une telle réaction peut être très précoce, elle se montre déterminée par une condition si dominante qu’elle en apparaît comme univoque : à savoir une limite qui ne peut être dépassée dans l’écart d’âge entre les sujets. Cette limite se restreint à deux mois et demi dans la première année de la période envisagée et reste aussi stricte en s’élargissant.

(8˙40 – 9)Si cette condition n’est pas remplie, les réactions que l’on observe entre les enfants confrontés ont une valeur toute différente. Examinons les plus fréquentes : celles de la parade, de la séduction, du despotisme. Bien que deux partenaires y figurent, le rapport qui caractérise chacune d’elles se révèle à l’observation, non pas comme un conflit entre deux individus, mais dans chaque sujet, comme un conflit entre deux attitudes opposées et complémentaires, et cette participation bipolaire est constitutive de la situation elle-même. Pour comprendre cette structure, qu’on s’arrête un instant à l’enfant qui se donne en spectacle et à celui qui le suit du regard : quel est le plus spectateur ? Ou bien qu’on observe l’enfant qui prodigue envers un autre ses tentatives de séduction : où est le séducteur ? Enfin, de l’enfant qui jouit des preuves de la domination qu’il exerce et de celui qui se complaît à s’y soumettre, qu’on se demande quel est le plus asservi ? Ici se réalise ce paradoxe : que chaque partenaire confond la partie de l’autre avec la sienne propre et s’identifie à lui ; mais qu’il peut soutenir ce rapport sur une participation proprement insignifiante de cet autre et vivre alors toute la situation à lui seul, comme le manifeste la discordance parfois totale entre leurs conduites. C’est dire que l’identification, spécifique des conduites sociales, à ce stade, se fonde sur un sentiment de l’autre, que l’on ne peut que méconnaître sans une conception correcte de sa valeur tout imaginaire.

L’imago du semblable. – Quelle est donc la structure de cette imago ? Une première indication nous est donnée par la condition reconnue plus haut pour nécessaire à une adaptation réelle entre partenaires, à savoir un écart d’âge très étroitement limité. Si l’on se réfère au fait que ce stade est caractérisé par des transformations de la structure nerveuse assez rapides et profondes pour dominer les différenciations individuelles, on comprendra que cette condition équivaut à l’exigence d’une similitude entre les sujets. Il apparaît que l’imago de l’autre est liée à la structure du corps propre et plus spécialement de ses fonctions de relation, par une certaine similitude objective.
La doctrine de la psychanalyse permet de serrer davantage le problème. Elle nous montre dans le frère, au sens neutre, l’objet électif des exigences de la libido qui, au stade que nous étudions, sont homosexuelles. Mais aussi elle insiste sur la confusion en cet objet de deux relations affectives, amour et identification, dont l’opposition sera fondamentale aux stades ultérieurs.
Cette ambiguïté originelle se retrouve chez l’adulte, dans la passion de la jalousie amoureuse et c’est là qu’on peut le mieux la saisir. On doit la reconnaître, en effet, dans le puissant intérêt que le sujet porte à l’image du rival : intérêt qui, bien qu’il s’affirme comme haine, c’est-à-dire comme négatif, et bien qu’il se motive par l’objet prétendu de l’amour, n’en paraît pas moins entretenu par le sujet de la façon la plus gratuite et la plus coûteuse et souvent domine à tel point le sentiment amoureux lui-même, qu’il doit être interprété comme l’intérêt essentiel et positif de la passion. Cet intérêt confond en lui l’identification et l’amour et, pour n’apparaître que masqué dans le registre de la pensée de l’adulte, n’en confère pas moins à la passion qu’il soutient cette irréfutabilité qui l’apparente à l’obsession. L’agressivité maximum qu’on rencontre dans les formes psychotiques de la passion est constituée bien plus par la négation de cet intérêt singulier que par la rivalité qui paraît la justifier.

Le sens de l’agressivité primordiale.– Mais c’est tout spécialement dans la situation fraternelle primitive que l’agressivité se démontre pour secondaire à l’identification. La doctrine Freudienne reste incertaine sur ce point ; l’idée darwinienne que la lutte est aux origines mêmes de la vie garde en effet un grand crédit auprès du biologiste ; mais sans doute faut-il reconnaître ici le prestige moins critiqué d’une emphase moralisante, qui se transmet en des poncifs tels que : homo homini lupus. Il est évident, au contraire, que le nourrissage constitue précisément pour les jeunes une neutralisation temporaire des conditions de la lutte pour la nourriture. Cette signification est plus évidente encore chez l’homme. L’apparition de la jalousie en rapport avec le nourrissage, selon le thème classique illustré plus haut par une citation de Saint Augustin, doit donc être interprétée prudemment. En fait, la jalousie peut se manifester dans des cas où le sujet, depuis longtemps sevré, n’est pas en situation de concurrence vitale à l’égard de son frère. Le phénomène semble donc exiger comme préalable une certaine identification à l’état du frère. Au reste, la doctrine analytique, en caractérisant comme sadomasochiste la tendance typique de la libido à ce même stade, souligne certes que l’agressivité domine alors l’économie affective, mais aussi qu’elle est toujours à la fois subie et agie, c’est-à-dire sous-tendue par une identification à l’autre, objet de la violence.

Rappelons que ce rôle de doublure intime que joue le masochisme dans le sadisme, a été mis en relief par la psychanalyse et que c’est l’énigme que constitue le masochisme dans l’économie des instincts vitaux qui a conduit Freud à affirmer un instinct de mort.
Si l’on veut suivre l’idée que nous avons indiquée plus haut, et désigner avec nous dans le malaise du sevrage humain la source du désir de la mort, on reconnaîtra dans le masochisme primaire le moment dialectique où le sujet assume par ses premiers actes de jeu la reproduction de ce malaise même et, par là, le sublime et le surmonte. C’est bien ainsi que sont apparus les jeux primitifs de l’enfant à l’œil connaisseur de Freud : cette joie de la première enfance de rejeter un objet du champ de son regard, puis, l’objet retrouvé, d’en renouveler inépuisablement l’exclusion, signifie bien que c’est le pathétique du sevrage que le sujet s’inflige à nouveau, tel qu’il l’a subi, mais dont il triomphe maintenant qu’il est actif dans sa reproduction.
Le dédoublement ainsi ébauché dans le sujet, c’est l’identification au frère qui lui permet de s’achever : elle fournit l’image qui fixe l’un des pôles du masochisme primaire. Ainsi la non-violence du suicide primordial engendre la violence du meurtre imaginaire du frère. Mais cette violence n’a pas de rapport avec la lutte pour la vie. L’objet que choisit l’agressivité dans les primitifs jeux de la mort est, en effet, hochet ou déchet, biologiquement indifférent ; le sujet l’abolit gratuitement, en quelque sorte pour le plaisir, il ne fait que consommer ainsi la perte de l’objet maternel. L’image du frère non sevré n’attire une agression spéciale que parce qu’elle répète dans le sujet l’imago de la situation maternelle et avec elle le désir de la mort. Ce phénomène est secondaire à l’identification.

LE STADE DU MIROIR

L’identification affective est une fonction psychique dont la psychanalyse a établi l’originalité, spécialement dans le complexe d’Œdipe, comme nous le verrons. Mais l’emploi de ce terme au stade que nous étudions reste mal défini dans la doctrine ; c’est à quoi nous avons tenté de suppléer par une théorie de cette identification dont nous désignons le moment génétique sous le terme de stade du miroir.
Le stade ainsi considéré répond au déclin du sevrage, c’est-à-dire à la fin de ces six mois dont la dominante psychique de malaise, répondant au retard de la croissance physique, traduit cette prématuration de la naissance qui est, comme nous l’avons dit, le fond spécifique du sevrage chez l’homme. Or, la reconnaissance par le sujet de son image dans le miroir est un phénomène (8*40 – 10)qui, pour l’analyse de ce stade, est deux fois significatif : le phénomène apparaît après six mois et son étude à ce moment révèle de façon démonstrative les tendances qui constituent alors la réalité du sujet ; l’image spéculaire, en raison même de ces affinités, donne un bon symbole de cette réalité : de sa valeur affective, illusoire comme l’image, et de sa structure, comme elle reflet de la forme humaine.
La perception de la forme du semblable en tant qu’unité mentale est liée chez l’être vivant à un niveau corrélatif d’intelligence et de sociabilité. L’imitation au signal la montre, réduite, chez l’animal de troupeau ; les structures échomimiques, échopraxiques en manifestent l’infinie richesse chez le Singe et chez l’homme. C’est le sens primaire de l’intérêt que l’un et l’autre manifestent à leur image spéculaire. Mais si leurs comportements à l’égard de cette image, sous la forme de tentatives d’appréhension manuelle, paraissent se ressembler, ces jeux ne dominent chez l’homme que pendant un moment, à la fin de la première année, âge dénommé par Bühler « âge du Chimpanzé » parce que l’homme y passe à un pareil niveau d’intelligence instrumentale.

Puissance seconde de l’image spéculaire. – Or le phénomène de perception qui se produit chez l’homme dès le sixième mois, est apparu dès ce moment sous une forme toute différente, caractéristique d’une intuition illuminative, à savoir, sur le fonds d’une inhibition attentive, révélation soudaine du comportement adapté (ici geste de référence à quelque partie du corps propre) ; puis ce gaspillage jubilatoire d’énergie qui signale objectivement le triomphe ; cette double réaction laissant entrevoir le sentiment de compréhension sous sa forme ineffable. Ces caractères traduisent selon nous le sens secondaire que le phénomène reçoit des conditions libidinales qui entourent son apparition. Ces conditions ne sont que les tensions psychiques issues des mois de prématuration et qui paraissent traduire une double rupture vitale : rupture de cette immédiate adaptation au milieu qui définit le monde de l’animal par sa connaturalité ; rupture de cette unité du fonctionnement du vivant qui asservit chez l’animal la perception à la pulsion.

La discordance, à ce stade chez l’homme, tant des pulsions que des fonctions, n’est que la suite de l’incoordination prolongée des appareils. Il en résulte un stade affectivement et mentalement constitué sur la base d’une proprioceptivité qui donne le corps comme morcelé : d’une part, l’intérêt psychique se trouve déplacé sur des tendances visant à quelque recollement du corps propre ; d’autre part, la réalité, soumise d’abord à un morcellement perceptif, dont le chaos atteint jusqu’à ses catégories, « espaces », par exemple, aussi disparates que les statiques successives de l’enfant, s’ordonne en reflétant les formes du corps, qui donnent en quelque sorte le modèle de tous les objets.
C’est ici une structure archaïque du monde humain dont l’analyse de l’inconscient a montré les profonds vestiges : fantasmes de démembrement, de dislocation du corps, dont ceux de la castration ne sont qu’une image mise en valeur par un complexe particulier ; l’imago du double, dont les objectivations fantastiques, telles que des causes diverses les réalisent à divers âges de la vie, révèlent au psychiatre qu’elle évolue avec la croissance du sujet ; enfin, ce symbolisme anthropomorphique et organique des objets dont la psychanalyse, dans les rêves et dans les symptômes, a fait la prodigieuse découverte.
La tendance par où le sujet restaure l’unité perdue de soi-même prend place dès l’origine au centre de la conscience. Elle est la source d’énergie de son progrès mental, progrès dont la structure est déterminée par la prédominance des fonctions visuelles. Si la recherche de son unité affective promeut chez le sujet les formes où il se représente son identité, la forme la plus intuitive en est donnée, à cette phase, par l’image spéculaire. Ce que le sujet salue en elle, c’est l’unité mentale qui lui est inhérente. Ce qu’il y reconnaît, c’est l’idéal de l’imago du double. Ce qu’il y acclame, c’est le triomphe de la tendance salutaire.

Structure narcissique du moi. – Le monde propre à cette phase est donc un monde narcissique. En le désignant ainsi nous n’évoquons pas seulement sa structure libidinale par le terme même auquel Freud et Abraham, dès 1908 ont assigné le sens purement énergétique d’investissement de la libido sur le corps propre ; nous voulons aussi pénétrer sa structure mentale avec le plein sens du mythe de Narcisse ; que ce sens indique la mort : l’insuffisance vitale dont ce monde est issu ; ou la réflexion spéculaire : l’imago du double qui lui est centrale ; ou l’illusion de l’image : ce monde, nous l’allons voir, ne contient pas d’autrui.

La perception de l’activité d’autrui ne suffit pas en effet à rompre l’isolement affectif du sujet. Tant que l’image du semblable ne joue que son rôle primaire, limité à la fonction d’expressivité, elle déclenche chez le sujet émotions et postures similaires, du moins dans la mesure où le permet la structure actuelle de ses appareils. Mais tandis qu’il subit cette suggestion émotionnelle ou motrice, le sujet ne se distingue pas de l’image elle-même. Bien plus, dans la discordance caractéristique de cette phase, l’image ne fait qu’ajouter l’intrusion temporaire d’une tendance étrangère. Appelons-la intrusion narcissique : l’unité qu’elle introduit dans les tendances contribuera pourtant à la formation du moi. Mais, avant que le moi affirme son identité, il se confond avec cette image qui le forme, mais l’aliène primordialement.
Disons que le moi gardera de cette origine la structure ambiguë du spectacle qui, manifeste dans les situations plus haut décrites du despotisme, de la séduction, de la parade, donne leur forme à des pulsions, sado-masochiste et scoptophilique (désir de voir et d’être vu), destructrices de l’autrui dans leur essence. Notons aussi que cette intrusion primordiale fait comprendre toute projection du moi constitué, qu’elle se manifeste comme mythomaniaque chez l’enfant dont l’identification personnelle vacille encore, comme transitiviste chez le paranoïaque dont le moi régresse à un stade archaïque, ou comme compréhensive quand elle est intégrée dans un moi normal.

LE DRAME DE LA JALOUSIE : LE MOI ET L’AUTRUI

Le moi se constitue en même temps que l’autrui dans le drame de la jalousie. Pour le sujet, c’est une discordance qui intervient dans la satisfaction spectaculaire, du fait de la tendance que celle-ci suggère. Elle implique l’introduction d’un tiers objet qui, à la confusion affective, comme à l’ambiguïté spectaculaire, substitue la concurrence d’une situation triangulaire. Ainsi le sujet, engagé dans la jalousie par identification, débouche (8*40 – 11)sur une alternative nouvelle où se joue le sort de la réalité : ou bien il retrouve l’objet maternel et va s’accrocher au refus du réel et à la destruction de l’autre ; ou bien, conduit à quelque autre objet, il le reçoit sous la forme caractéristique de la connaissance humaine, comme objet communicable, puisque concurrence implique à la fois rivalité et accord ; mais en même temps il reconnaît l’autre avec lequel s’engage la lutte ou le contrat, bref il trouve à la fois l’autrui et l’objet socialisé. Ici encore la jalousie humaine se distingue donc de la rivalité vitale immédiate, puisqu’elle forme son objet plus qu’il ne la détermine ; elle se révèle comme l’archétype des sentiments sociaux.
Le moi ainsi conçu ne trouve pas avant l’âge de trois ans sa constitution essentielle ; c’est celle même, on le voit, de l’objectivité fondamentale de la connaissance humaine. Point remarquable, celle-ci tire sa richesse et sa puissance de l’insuffisance vitale de l’homme à ses origines. Le symbolisme primordial de l’objet favorise tant son extension hors des limites des instincts vitaux que sa perception comme instrument. Sa socialisation par la sympathie jalouse fonde sa permanence et sa substantialité.
Tels sont les traits essentiels du rôle psychique du complexe fraternel. En voici quelques applications.

Conditions et effets de la fraternité. – Le rôle traumatisant du frère au sens neutre est donc constitué par son intrusion. Le fait et l’époque de son apparition déterminent sa signification pour le sujet. L’intrusion part du nouveau venu pour infester l’occupant ; dans la famille, c’est en règle générale le fait d’une naissance et c’est l’aîné qui en principe joue le rôle de patient.
La réaction du patient au traumatisme dépend de son développement psychique. Surpris par l’intrus dans le désarroi du sevrage, il le réactive sans cesse à son spectacle : il fait alors une régression qui se révélera, selon les destins du moi, comme psychose schizophrénique ou comme névrose hypochondriaque ; ou bien il réagit par la destruction imaginaire du monstre, qui donnera de même soit des impulsions perverses, soit une culpabilité obsessionnelle.
Que l’intrus ne survienne au contraire qu’après le complexe de l’Œdipe, il est adopté le plus souvent sur le plan des identifications parentales, plus denses affectivement et plus riches de structure, on va le voir. Il n’est plus pour le sujet l’obstacle ou le reflet, mais une personne digne d’amour ou de haine. Les pulsions agressives se subliment en tendresse ou en sévérité.
Mais le frère donne aussi le modèle archaïque du moi. Ici le rôle d’agent revient à l’aîné comme au plus achevé. Plus conforme sera ce modèle à l’ensemble des pulsions du sujet, plus heureuse sera la synthèse du moi et plus réelles les formes de l’objectivité. Cette formule est-elle confirmée par l’étude des jumeaux ? On sait que de nombreux mythes leur imputent la puissance du héros, par quoi est restaurée dans la réalité l’harmonie du sein maternel, mais c’est au prix d’un fratricide. Quoi qu’il en soit, c’est par le semblable que l’objet comme le moi se réalise : plus il peut assimiler de son partenaire, plus le sujet conforte à la fois sa personnalité et son objectivité, garantes de sa future efficacité.
Mais le groupe de la fratrie familiale, divers d’âge et de sexe, est favorable aux identifications les plus discordantes du moi. L’imago primordiale du double sur laquelle le moi se modèle semble d’abord dominée par les fantaisies de la forme, comme il apparaît dans le fantasme commun aux deux sexes, de la mère phallique ou dans le double phallique de la femme névrosée. D’autant plus facilement se fixera-t-elle en des formes atypiques, où des appartenances accessoires pourront jouer un aussi grand rôle que des différences organiques ; et l’on verra, selon la poussée, suffisante ou non, de l’instinct sexuel, cette identification de la phase narcissique, soit engendrer les exigences formelles d’une homosexualité ou de quelque fétichisme sexuel, soit, dans le système d’un moi paranoïaque, s’objectiver dans le type du persécuteur, extérieur ou intime.
Les connexions de la paranoïa avec le complexe fraternel se manifestent par la fréquence des thèmes de filiation, d’usurpation, de spoliation, comme sa structure narcissique se révèle dans les thèmes plus paranoïdes de l’intrusion, de l’influence, du dédoublement, du double et de toutes les transmutations délirantes du corps.
Ces connexions s’expliquent en ce que le groupe familial, réduit à la mère et à la fratrie, dessine un complexe psychique où la réalité tend à rester imaginaire ou tout au plus abstraite. La clinique montre qu’effectivement le groupe ainsi décomplété est très favorable à l’éclosion des psychoses et qu’on y trouve la plupart des cas de délires à deux.

3. – Le complexe d’Œdipe

C’est en découvrant dans l’analyse des névroses les faits œdipiens que Freud mit au jour le concept du complexe. Le complexe d’Œdipe, exposé, vu le nombre des relations psychiques qu’il intéresse, en plus d’un point de cet ouvrage, s’impose ici – et à notre étude, puisqu’il définit plus particulièrement les relations psychiques dans la famille humaine – et à notre critique, pour autant que Freud donne cet élément psychologique pour la forme spécifique de la famille humaine et lui subordonne toutes les variations sociales de la famille. L’ordre méthodique ici proposé, tant dans la considération des structures mentales que des faits sociaux, conduira à une révision du complexe qui permettra de situer dans l’histoire la famille paternaliste et d’éclairer plus avant la névrose contemporaine.

Schéma du complexe. – La psychanalyse a révélé chez l’enfant des pulsions génitales dont l’apogée se situe dans la 4ème année. Sans nous étendre ici sur leur structure, disons qu’elles constituent une sorte de puberté psychologique, fort prématurée, on le voit, par rapport à la puberté physiologique. En fixant l’enfant par un désir sexuel à l’objet le plus proche que lui offrent normalement la présence et l’intérêt, à savoir le parent de sexe opposé, ces pulsions donnent sa base au complexe ; leur frustration en forme le nœud. Bien qu’inhérente à la prématuration essentielle de ces pulsions, cette frustration est rapportée par l’enfant au tiers objet que les mêmes conditions de présence et d’intérêt lui désignent normalement comme l’obstacle à leur satisfaction : à savoir au parent du même sexe.
La frustration qu’il subit s’accompagne, en effet, communément d’une répression éducative qui a pour but d’empêcher tout aboutissement de ces pulsions et spécialement leur aboutissement masturbatoire. D’autre part, l’enfant acquiert une certaine intuition de la situation qui lui est interdite, tant par les signes discrets et diffus qui trahissent à sa sensibilité les relations parentales que par les hasards intempestifs qui les lui dévoilent. Par ce double procès, le parent de même sexe apparaît à l’enfant à la fois comme l’agent de l’interdiction sexuelle et l’exemple de sa transgression.
(8*40 – 12)La tension ainsi constituée se résout, d’une part, par un refoulement de la tendance sexuelle qui, dès lors, restera latente – laissant place à des intérêts neutres, éminemment favorables aux acquisitions éducatives – jusqu’à la puberté ; d’autre part, par la sublimation de l’image parentale qui perpétuera dans la conscience un idéal représentatif, garantie de la coïncidence future des attitudes psychiques et des attitudes physiologiques au moment de la puberté. Ce double procès a une importance génétique fondamentale, car il reste inscrit dans le psychisme en deux instances permanentes : celle qui refoule s’appelle le surmoi, celle qui sublime, l’idéal du moi. Elles représentent l’achèvement de la crise œdipienne.

Valeur objective du complexe. – Ce schéma essentiel du complexe répond à un grand nombre de données de l’expérience. L’existence de la sexualité infantile est désormais incontestée ; au reste, pour s’être révélée historiquement par ces séquelles de son évolution qui constituent les névroses, elle est accessible à l’observation la plus immédiate, et sa méconnaissance séculaire est une preuve frappante de la relativité sociale du savoir humain. Les instances psychiques qui, sous le nom du surmoi et d’idéal du moi, ont été isolées dans une analyse concrète des symptômes des névroses, ont manifesté leur valeur scientifique dans la définition et l’explication des phénomènes de la personnalité ; il y a là un ordre de détermination positive qui rend compte d’une foule d’anomalies du comportement humain et, du même coup, rend caduques, pour ces troubles, les références à l’ordre organique qui, encore que de pur principe ou simplement mythiques, tiennent lieu de méthode expérimentale à toute une tradition médicale.
À vrai dire, ce préjugé qui attribue à l’ordre psychique un caractère épiphénoménal, c’est-à-dire inopérant, était favorisé par une analyse insuffisante des facteurs de cet ordre et c’est précisément à la lumière de la situation définie comme œdipienne que tels accidents de l’histoire du sujet prennent la signification et l’importance qui permettent de leur rapporter tel trait individuel de sa personnalité ; on peut même préciser que lorsque ces accidents affectent la situation œdipienne comme traumatismes dans son évolution, ils se répètent plutôt dans les effets du surmoi ; s’ils l’affectent comme atypies dans sa constitution, c’est plutôt dans les formes de l’idéal du moi qu’ils se reflètent. Ainsi, comme inhibitions de l’activité créatrice ou comme inversions de l’imagination sexuelle, un grand nombre de troubles, dont beaucoup apparaissent au niveau des fonctions somatiques élémentaires, ont trouvé leur réduction théorique et thérapeutique.

LA FAMILLE SELON FREUD

Découvrir que des développements aussi importants pour l’homme que ceux de la répression sexuelle et du sexe psychique étaient soumis à la régulation et aux accidents d’un drame psychique de la famille, c’était fournir la plus précieuse contribution à l’anthropologie du groupement familial, spécialement à l’étude des interdictions que ce groupement formule universellement et qui ont pour objet le commerce sexuel entre certains de ses membres. Aussi bien, Freud en vint-il vite à formuler une théorie de la famille. Elle était fondée sur une dissymétrie, apparue dès les premières recherches, dans la situation des deux sexes par rapport à l’Œdipe. Le procès qui va du désir œdipien à sa répression n’apparaît aussi simple que nous l’avons exposé d’abord, que chez l’enfant mâle. Aussi est-ce ce dernier qui est pris constamment pour sujet dans les exposés didactiques du complexe.
Le désir œdipien apparaît, en effet, beaucoup plus intense chez le garçon et donc pour la mère. D’autre part, la répression révèle, dans son mécanisme, des traits qui ne paraissent d’abord justifiables que si, dans sa forme typique, elle s’exerce du père au fils. C’est là le fait du complexe de castration.

– Le complexe de castration. – Cette répression s’opère par un double mouvement affectif du sujet : agressivité contre le parent à l’égard duquel son désir sexuel le met en posture de rival ; crainte secondaire, éprouvée en retour, d’une agression semblable. Or un fantasme soutient ces deux mouvements, si remarquable qu’il a été individualisé avec eux en un complexe dit de castration. Si ce terme se justifie par les fins agressives et répressives qui apparaissent à ce moment de l’Œdipe, il est pourtant peu conforme au fantasme qui en constitue le fait original.
Ce fantasme consiste essentiellement dans la mutilation d’un membre, c’est-à-dire dans un sévice qui ne peut servir qu’à châtrer un mâle. Mais la réalité apparente de ce danger, jointe au fait que la menace en est réellement formulée par une tradition éducative, devait entraîner Freud à le concevoir comme ressenti d’abord pour sa valeur réelle et à reconnaître dans une crainte inspirée de mâle à mâle, en fait par le père, le prototype de la répression œdipienne.
Dans cette voie, Freud recevait un appui d’une donnée sociologique : non seulement l’interdiction de l’inceste avec la mère a un caractère universel, à travers les relations de parenté infiniment diverses et souvent paradoxales que les cultures primitives frappent du tabou de l’inceste, mais encore, quel que soit dans une culture le niveau de la conscience morale, cette interdiction est toujours expressément formulée et la transgression en est frappée d’une réprobation constante. C’est pourquoi Frazer reconnaît dans le tabou de la mère la loi primordiale de l’humanité.

Le mythe du parricide originel. – C’est ainsi que Freud fait le saut théorique dont nous avons marqué l’abus dans notre introduction : de la famille conjugale qu’il observait chez ses sujets, à une hypothétique famille primitive conçue comme une horde qu’un mâle domine par sa supériorité biologique en accaparant les femelles nubiles. Freud se fonde sur le lien que l’on constate entre les tabous et les observances à l’égard du totem, tour à tour objet d’inviolabilité et d’orgie sacrificielle. Il imagine un drame de meurtre du père par les fils, suivi d’une consécration posthume de sa puissance sur les femmes par les meurtriers prisonniers d’une insoluble rivalité : événement primordial, d’où, avec le tabou de la mère, serait sortie toute tradition morale et culturelle.
Même si cette construction n’était ruinée par les seules pétitions de principe qu’elle comporte – attribuer à un groupe biologique la possibilité, qu’il s’agit justement de fonder, de la reconnaissance d’une loi – ses prémisses prétendues biologiques elles-mêmes, à savoir la tyrannie permanente exercée par le chef de la horde, se réduiraient à un fantôme de plus en plus incertain à mesure qu’avance notre connaissance des Anthropoïdes. Mais surtout les traces universellement présentes et la survivance étendue d’une structure matriarcale de la famille, l’existence dans son aire de toutes les formes fondamentales de la culture, et spécialement d’une répression souvent très rigoureuse de la sexualité manifestent que l’ordre de la famille humaine a des fondements soustraits à la force du mâle.
Il nous semble pourtant que l’immense moisson des faits que le complexe d’Œdipe a permis d’objectiver depuis quelque cinquante ans, peut éclairer la structure psychologique de la famille, plus avant que les intuitions trop hâtives que nous venons d’exposer.

(8*40 –13)LES FONCTIONS DU COMPLEXE : REVISION PSYCHOLOGIQUE

Le complexe d’Œdipe marque tous les niveaux du psychisme ; mais les théoriciens de la psychanalyse n’ont pas défini sans ambiguïté les fonctions qu’il y remplit ; c’est faute d’avoir distingué suffisamment les plans de développement sur lesquels ils l’expliquent. Si le complexe leur apparaît en effet comme l’axe selon lequel l’évolution de la sexualité se projette dans la constitution de la réalité, ces deux plans divergent chez l’homme d’une incidence spécifique, qui est certes reconnue par eux comme répression de la sexualité et sublimation de la réalité, mais doit être intégrée dans une conception plus rigoureuse de ces rapports de structure : le rôle de maturation que joue le complexe dans l’un et l’autre de ces plans ne pouvant être tenu pour parallèle qu’approximativement.

MATURATION DE LA SEXUALITE

L’appareil psychique de la sexualité se révèle d’abord chez l’enfant sous les formes les plus aberrantes par rapport à ses fins biologiques, et la succession de ces formes témoigne que c’est par une maturation progressive qu’il se conforme à l’organisation génitale. Cette maturation de la sexualité conditionne le complexe d’Œdipe, en formant ses tendances fondamentales, mais, inversement, le complexe la favorise en la dirigeant vers ses objets.

Le mouvement de l’Œdipe s’opère, en effet, par un conflit triangulaire dans le sujet ; déjà, nous avons vu le jeu des tendances issues du sevrage produire une formation de cette sorte ; c’est aussi la mère, objet premier de ces tendances, comme nourriture à absorber et même comme sein où se résorber, qui se propose d’abord au désir œdipien. On comprend ainsi que ce désir se caractérise mieux chez le mâle, mais aussi qu’il y prête une occasion singulière à la réactivation des tendances du sevrage, c’est-à-dire à une régression sexuelle. Ces tendances ne constituent pas seulement, en effet, une impasse psychologique ; elles s’opposent en outre particulièrement ici à l’attitude d’extériorisation, conforme à l’activité du mâle.
Tout au contraire, dans l’autre sexe, où ces tendances ont une issue possible dans la destinée biologique du sujet, l’objet maternel, en détournant une part du désir œdipien, tend certes à neutraliser le potentiel du complexe et, par là, ses effets de sexualisation, mais, en imposant un changement d’objet, la tendance génitale se détache mieux des tendances primitives et d’autant plus facilement qu’elle n’a pas à renverser l’attitude d’intériorisation héritée de ces tendances, qui sont narcissiques. Ainsi en arrive-t-on à cette conclusion ambiguë que, d’un sexe à l’autre, plus la formation du complexe est accusée, plus aléatoire paraît être son rôle dans l’adaptation sexuelle.

CONSTITUTION DE LA REALITE

On voit ici l’influence du complexe psychologique sur une relation vitale et c’est par là qu’il contribue à la constitution de la réalité. Ce qu’il y apporte se dérobe aux termes d’une psychogenèse intellectualiste : c’est une certaine profondeur affective de l’objet. Dimension qui, pour faire le fond de toute compréhension subjective, ne s’en distinguerait pas comme phénomène, si la clinique des maladies mentales ne nous la faisait saisir comme telle en proposant toute une série de ses dégradations aux limites de la compréhension.
Pour constituer en effet une norme du vécu, cette dimension ne peut qu’être reconstruite par des intuitions métaphoriques : densité qui confère l’existence à l’objet, perspective qui nous donne le sentiment de sa distance et nous inspire le respect de l’objet. Mais elle se démontre dans ces vacillements de la réalité qui fécondent le délire : quand l’objet tend à se confondre avec le moi en même temps qu’à se résorber en fantasme, quand il apparaît décomposé selon l’un de ces sentiments qui forment le spectre de l’irréalité, depuis les sentiments d’étrangeté, de déjà vu, de jamais-vu, en passant par les fausses reconnaissances, les illusions de sosie, les sentiments de devinement, de participation, d’influence, les intuitions de signification, pour aboutir au crépuscule du monde et à cette abolition affective qu’on désigne formellement en allemand comme perte de l’objet (Objektverlust).
Ces qualités si diverses du vécu, la psychanalyse les explique par les variations de la quantité d’énergie vitale que le désir investit dans l’objet. La formule, toute verbale qu’elle puisse paraître, répond, pour les psychanalystes, à une donnée de leur pratique ; ils comptent avec cet investissement dans les « transferts » opératoires de leurs cures ; c’est sur les ressources qu’il offre qu’ils doivent fonder l’indication du traitement. Ainsi ont-ils reconnu dans les symptômes cités plus haut les indices d’un investissement trop narcissique de la libido, cependant que la formation de l’Œdipe apparaissait comme le moment et la preuve d’un investissement suffisant pour le « transfert ».
Ce rôle de l’Œdipe serait corrélatif de la maturation de la sexualité. L’attitude instaurée par la tendance génitale cristalliserait selon son type normal le rapport vital à la réalité. On caractérise cette attitude par les termes de don et de sacrifice, termes grandioses, mais dont le sens reste ambigu et hésite entre la défense et le renoncement. Par eux une conception audacieuse retrouve le confort secret d’un thème moralisant : dans le passage de la captativité à l’oblativité, on confond à plaisir l’épreuve vitale et l’épreuve morale.
Cette conception peut se définir une psychogenèse analogique ; elle est conforme au défaut le plus marquant de la doctrine analytique : négliger la structure au profit du dynamisme. Pourtant l’expérience analytique elle-même apporte une contribution à l’étude des formes mentales en démontrant leur rapport – soit de conditions, soit de solutions – avec les crises affectives. C’est en différenciant le jeu formel du complexe qu’on peut établir, entre sa fonction et la structure du drame qui lui est essentielle, un rapport plus arrêté.

REPRESSION DE LA SEXUALITE

Le complexe d’Œdipe, s’il marque le sommet de la sexualité infantile, est aussi le ressort de la répression qui en réduit les images à l’état de latence jusqu’à la puberté ; s’il détermine une condensation de la réalité dans le sens de la vie, il est aussi le moment de la sublimation qui chez l’homme ouvre à cette réalité son extension désintéressée.
Les formes sous lesquelles se perpétuent ces effets sont désignées comme surmoi ou idéal du moi, selon qu’elles sont pour le sujet inconscientes ou conscientes. Elles reproduisent, dit-on, l’imago du parent du même sexe, l’idéal du moi contribuant ainsi au conformisme sexuel du psychisme. Mais l’imago du père aurait, selon la doctrine, dans ces deux fonctions, un rôle prototypique en raison de la domination du mâle.
Pour la répression de la sexualité, cette conception repose, nous l’avons indiqué, sur le fantasme de castration. Si la doctrine le rapporte à une menace réelle, c’est avant tout que, génialement dynamiste pour reconnaître les tendances, Freud reste fermé par l’atomisme traditionnel à la notion de l’autonomie des formes ; c’est ainsi qu’à observer l’existence du même fantasme chez la petite fille ou d’une image phallique de la mère dans les deux sexes, il est contraint d’expliquer ces faits par de précoces révélations de la domination du mâle, révélations qui conduiraient la petite fille à la nostalgie de la virilité, l’enfant à concevoir sa mère comme virile. Genèse qui, pour trouver un fondement dans l’identification, requiert à l’usage une telle surcharge de mécanismes qu’elle paraît erronée.

Les fantasmes de morcellement. – Or, le matériel de l’expérience analytique suggère une interprétation différente ; le fantasme de castration est en effet précédé par toute une série de fantasmes de morcellement du corps qui vont en régression (8*40 – 14)de la dislocation et du démembrement, par l’éviration, l’éventrement, jusqu’à la dévoration et à l’ensevelissement.
L’examen de ces fantasmes révèle que leur série s’inscrit dans une forme de pénétration à sens destructeur et investigateur à la fois, qui vise le secret du sein maternel, cependant que ce rapport est vécu par le sujet sous un mode plus ambivalent à proportion de leur archaïsme. Mais les chercheurs qui ont le mieux compris l’origine maternelle de ces fantasmes (Mélanie Klein), ne s’attachent qu’à la symétrie et à l’extension qu’ils apportent à la formation de l’Œdipe, en révélant par exemple la nostalgie de la maternité chez le garçon. Leur intérêt tient à nos yeux dans l’irréalité évidente de leur structure : l’examen de ces fantasmes qu’on trouve dans les rêves et dans certaines impulsions permet d’affirmer qu’ils ne se rapportent à aucun corps réel, mais à un mannequin hétéroclite, à une poupée baroque, à un trophée de membres où il faut reconnaître l’objet narcissique dont nous avons plus haut évoqué la genèse : conditionnée par la précession, chez l’homme, de formes imaginaires du corps sur la maîtrise du corps propre, par la valeur de défense que le sujet donne à ces formes, contre l’angoisse du déchirement vital, fait de la prématuration.

Origine maternelle du surmoi archaïque. – Le fantasme de castration se rapporte à ce même objet : sa forme, née avant tout repérage du corps propre, avant toute distinction d’une menace de l’adulte, ne dépend pas du sexe du sujet et détermine plutôt qu’elle ne subit les formules de la tradition éducative. Il représente la défense que le moi narcissique, identifié à son double spéculaire, oppose au renouveau d’angoisse qui, au premier moment de l’Œdipe, tend à l’ébranler : crise que ne cause pas tant l’irruption du désir génital dans le sujet que l’objet qu’il réactualise, à savoir la mère. À l’angoisse réveillée par cet objet, le sujet répond en reproduisant le rejet masochique par où il a surmonté sa perte primordiale, mais il l’opère selon la structure qu’il a acquise, c’est-à-dire dans une localisation imaginaire de la tendance.
Une telle genèse de la répression sexuelle n’est pas sans référence sociologique : elle s’exprime dans les rites par lesquels les primitifs manifestent que cette répression tient aux racines du lien social : rites de fête qui, pour libérer la sexualité, y désignent par leur forme orgiaque le moment de la réintégration affective dans le Tout ; rites de circoncision qui, pour sanctionner la maturité sexuelle, manifestent que la personne n’y accède qu’au prix d’une mutilation corporelle.
Pour définir sur le plan psychologique cette genèse de la répression, on doit reconnaître dans le fantasme de castration le jeu imaginaire qui la conditionne, dans la mère l’objet qui la détermine. C’est la forme radicale des contrepulsions qui se révèlent à l’expérience analytique pour constituer le noyau le plus archaïque du surmoi et pour représenter la répression la plus massive. Cette force se répartit avec la différenciation de cette forme, c’est-à-dire avec le progrès par où le sujet réalise l’instance répressive dans l’autorité de l’adulte ; on ne saurait autrement comprendre ce fait, apparemment contraire à la théorie, que la rigueur avec laquelle le surmoi inhibe les fonctions du sujet tende à s’établir en raison inverse des sévérités réelles de l’éducation. Bien que le surmoi reçoive déjà de la seule répression maternelle (disciplines du sevrage et des sphincters) des traces de la réalité, c’est dans le complexe d’Œdipe qu’il dépasse sa forme narcissique.

SUBLIMATION DE LA REALITE

Ici s’introduit le rôle de ce complexe dans la sublimation de la réalité. On doit partir, pour le comprendre, du moment où la doctrine montre la solution du drame, à savoir de la forme qu’elle y a découverte, de l’identification. C’est, en effet, en raison d’une identification du sujet à l’imago du parent de même sexe que le surmoi et l’idéal du moi peuvent révéler à l’expérience des traits conformes aux particularités de cette imago.

La doctrine y voit le fait d’un narcissisme secondaire ; elle ne distingue pas cette identification de l’identification narcissique : il y a également assimilation du sujet à l’objet ; elle n’y voit d’autre différence que la constitution, avec le désir œdipien, d’un objet de plus de réalité, s’opposant à un moi mieux formé ; de la frustration de ce désir résulterait, selon les constantes de l’hédonisme, le retour du sujet à sa primordiale voracité d’assimilation et, de la formation du moi, une imparfaite introjection de l’objet : l’imago, pour s’imposer au sujet, se juxtapose seulement au moi dans les deux exclusions de l’inconscient et de l’idéal.

Originalité de l’identification œdipienne. – Une analyse plus structurale de l’identification œdipienne permet pourtant de lui reconnaître une forme plus distinctive. Ce qui apparaît d’abord, c’est l’antinomie des fonctions que joue dans le sujet l’imago parentale : d’une part, elle inhibe la fonction sexuelle, mais sous une forme inconsciente, car l’expérience montre que l’action du surmoi contre les répétitions de la tendance reste aussi inconsciente que la tendance reste refoulée. D’autre part, l’imago préserve cette fonction, mais à l’abri de sa méconnaissance, car c’est bien la préparation des voies de son retour futur que représente dans la conscience l’idéal du moi. Ainsi, si la tendance se résout sous les deux formes majeures, inconscience, méconnaissance, où l’analyse a appris à la reconnaître, l’imago apparaît elle-même sous deux structures dont l’écart définit la première sublimation de la réalité.
On ne souligne pourtant pas assez que l’objet de l’identification n’est pas ici l’objet du désir, mais celui qui s’y oppose dans le triangle œdipien. L’identification de mimétique est devenue propitiatoire ; l’objet de la participation sado-masochique se dégage du sujet, prend distance de lui dans la nouvelle ambiguïté de la crainte et de l’amour. Mais, dans ce pas vers la réalité, l’objet primitif du désir paraît escamoté.
Ce fait définit pour nous l’originalité de l’identification œdipienne : il nous paraît indiquer que, dans le complexe d’Œdipe, ce n’est pas le moment du désir qui érige l’objet dans sa réalité nouvelle, mais celui de la défense narcissique du sujet.
Ce moment, en faisant surgir l’objet que sa position situe comme obstacle au désir, le montre auréolé de la transgression sentie comme dangereuse ; il apparaît au moi à la fois comme l’appui de sa défense et l’exemple de son triomphe. C’est pourquoi cet objet vient normalement remplir le cadre du double où le moi s’est identifié d’abord et par lequel il peut encore se confondre avec l’autrui ; il apporte au moi une sécurité, en renforçant ce cadre, mais du même coup il le lui oppose comme un idéal qui, alternativement, l’exalte et le déprime.
Ce moment de l’Œdipe donne le prototype de la sublimation autant par le rôle de présence masquée qu’y joue la tendance, que par la forme dont il revêt l’objet. La même forme est sensible en effet à chaque crise où se produit, pour la réalité humaine, cette condensation dont nous avons posé plus haut l’énigme : c’est cette lumière de l’étonnement qui transfigure un objet en dissolvant ses équivalences dans le sujet et le propose non plus comme moyen à la satisfaction du désir, mais comme pôle aux créations de la passion. C’est en réduisant à nouveau un tel objet que l’expérience réalise tout approfondissement.
Une série de fonctions antinomiques se constitue ainsi dans le sujet par les crises majeures de la réalité humaine, pour contenir les virtualités indéfinies de son progrès ; si la fonction de la conscience semble exprimer l’angoisse primordiale et celle de l’équivalence refléter le conflit narcissique, celle de l’exemple paraît l’apport original du complexe d’Œdipe.

L’imago du père. – Or, la structure même du drame œdipien désigne le père pour donner à la fonction de sublimation sa forme la plus éminente, parce que la plus pure. L’imago de la mère dans l’identification (8*40 – 15)œdipienne trahit, en effet, l’interférence des identifications primordiales ; elle marque de leurs formes et de leur ambivalence autant l’idéal du moi que le surmoi : chez la fille, de même que la répression de la sexualité impose plus volontiers aux fonctions corporelles ce morcelage mental où l’on peut définir l’hystérie, de même la sublimation de l’imago maternelle tend à tourner en sentiment de répulsion pour sa déchéance et en souci systématique de l’image spéculaire.
L’imago du père, à mesure qu’elle domine, polarise dans les deux sexes les formes les plus parfaites de l’idéal du moi, dont il suffit d’indiquer qu’elles réalisent l’idéal viril chez le garçon, chez la fille l’idéal virginal. Par contre, dans les formes diminuées de cette imago nous pouvons souligner les lésions physiques, spécialement celles qui la présentent comme estropiée ou aveuglée, pour dévier l’énergie de sublimation de sa direction créatrice et favoriser sa réclusion dans quelque idéal d’intégrité narcissique. La mort du père, à quelque étape du développement qu’elle se produise et selon le degré d’achèvement de l’Œdipe, tend, de même, à tarir en le figeant le progrès de la réalité. L’expérience, en rapportant à de telles causes un grand nombre de névroses et leur gravité, contredit donc l’orientation théorique qui en désigne l’agent majeur dans la menace de la force paternelle.

LE COMPLEXE ET LA RELATIVITE SOCIOLOGIQUE

S’il est apparu dans l’analyse psychologique de l’Œdipe qu’il doit se comprendre en fonction de ses antécédents narcissiques, ce n’est pas dire qu’il se fonde hors de la relativité sociologique. Le ressort le plus décisif de ses effets psychiques tient, en effet, à ce que l’imago du père concentre en elle la fonction de répression avec celle de sublimation ; mais c’est là le fait d’une détermination sociale, celle de la famille paternaliste.

MATRIARCAT ET PATRIARCAT

L’autorité familiale n’est pas, dans les cultures matriarcales, représentée par le père, mais ordinairement par l’oncle maternel. Un ethnologue qu’a guidé sa connaissance de la psychanalyse, Malinowski, a su pénétrer les incidences psychiques de ce fait : si l’oncle maternel exerce ce parrainage social de gardien des tabous familiaux et d’initiateur aux rites tribaux, le père, déchargé de toute fonction répressive, joue un rôle de patronage plus familier, de maître en techniques et de tuteur de l’audace aux entreprises.
Cette séparation de fonctions entraîne un équilibre différent du psychisme, qu’atteste l’auteur par l’absence de névrose dans les groupes qu’il a observés aux îles du nord-ouest de la Mélanésie. Cet équilibre démontre heureusement que le complexe d’Œdipe est relatif à une structure sociale, mais il n’autorise en rien le mirage paradisiaque, contre lequel le sociologue doit toujours se défendre : à l’harmonie qu’il comporte s’oppose en effet la stéréotypie qui marque les créations de la personnalité, de l’art à la morale, dans de semblables cultures, et l’on doit reconnaître dans ce revers, conformément à la présente théorie de l’Œdipe, combien l’élan de la sublimation est dominé par la répression sociale, quand ces deux fonctions sont séparées.
C’est au contraire parce qu’elle est investie de la répression que l’imago paternelle en projette la force originelle dans les sublimations mêmes qui doivent la surmonter ; c’est de nouer en une telle antinomie le progrès de ces fonctions, que le complexe d’Œdipe tient sa fécondité. Cette antinomie joue dans le drame individuel, nous la verrons s’y confirmer par des effets de décomposition ; mais ses effets de progrès dépassent de beaucoup ce drame, intégrés qu’ils sont dans un immense patrimoine culturel : idéaux normaux, statuts juridiques, inspirations créatrices. Le psychologue ne peut négliger ces formes qui, en concentrant dans la famille conjugale les conditions du conflit fonctionnel de l’Œdipe, réintègrent dans le progrès psychologique la dialectique sociale engendrée par ce conflit.

Que l’étude de ces formes se réfère à l’histoire, c’est là déjà une donnée pour notre analyse ; c’est en effet à un problème de structure qu’il faut rapporter ce fait que la lumière de la tradition historique ne frappe en plein que les annales des patriarcats, tandis qu’elle n’éclaire qu’en frange – celle même où se maintient l’investigation d’un Bachofen – les matriarcats, partout sous-jacents à la culture antique.

Ouverture du lien social. – Nous rapprocherons de ce fait le moment critique que Bergson a défini dans les fondements de la morale ; on sait qu’il ramène à sa fonction de défense vitale ce « tout de l’obligation » par quoi il désigne le lien qui clôt le groupe humain sur sa cohérence, et qu’il reconnaît à l’opposé un élan transcendant de la vie dans tout mouvement qui ouvre ce groupe en universalisant ce lien ; double source que découvre une analyse abstraite, sans doute retournée contre ses illusions formalistes, mais qui reste limitée à la portée de l’abstraction. Or si, par l’expérience, le psychanalyste comme le sociologue peuvent reconnaître dans l’interdiction de la mère la forme concrète de l’obligation primordiale, de même peuvent-ils démontrer un procès réel de l’ « ouverture » du lien social dans l’autorité paternaliste et dire que, par le conflit fonctionnel de l’Œdipe, elle introduit dans la répression un idéal de promesse.
S’ils se réfèrent aux rites de sacrifice par où les cultures primitives, même parvenues à une concentration sociale élevée, réalisent avec la rigueur la plus cruelle – victimes humaines démembrées ou ensevelies vivantes – les fantasmes de la relation primordiale à la mère, ils liront, dans plus d’un mythe, qu’à l’avènement de l’autorité paternelle répond un tempérament de la primitive répression sociale. Lisible dans l’ambiguïté mythique du sacrifice d’Abraham, qui au reste le lie formellement à l’expression d’une promesse, ce sens n’apparaît pas moins dans le mythe de l’Œdipe, pour peu qu’on ne néglige pas l’épisode du Sphinx, représentation non moins ambiguë de l’émancipation des tyrannies matriarcales, et du déclin du rite du meurtre royal. Quelle que soit leur forme, tous ces mythes se situent à l’orée de l’histoire, bien loin de la naissance de l’humanité dont les séparent la durée immémoriale des cultures matriarcales et la stagnation des groupes primitifs.
Selon cette référence sociologique, le fait du prophétisme par lequel Bergson recourt à l’histoire en tant qu’il s’est produit éminemment dans le peuple juif, se comprend par la situation élue qui fut créée à ce peuple d’être le tenant du patriarcat parmi des groupes adonnés à des cultes maternels, par sa lutte convulsive pour maintenir l’idéal patriarcal contre la séduction irrépressible de ces cultures. À travers l’histoire des peuples patriarcaux, on voit ainsi s’affirmer dialectiquement dans la société les exigences de la personne et l’universalisation des idéaux : témoin ce progrès des formes juridiques qui éternise la mission que la Rome antique a vécue tant en puissance qu’en conscience, et qui s’est réalisée par l’extension déjà révolutionnaire des privilèges moraux d’un patriarcat à une plèbe immense et à tous les peuples.

L’HOMME MODERNE ET LA FAMILLE CONJUGALE

Deux fonctions dans ce procès se réfléchissent sur la structure de la famille elle-même : la tradition, dans les idéaux patriciens, de formes privilégiées du mariage ; l’exaltation apothéotique que le christianisme apporte aux exigences de la personne. L’Église a intégré cette tradition dans la morale du christianisme, en mettant au premier plan dans le lien du mariage le libre choix de la personne, faisant ainsi franchir à l’institution familiale le pas décisif vers sa structure moderne, à savoir le secret renversement de sa prépondérance (8*40 – 16)sociale au profit du mariage. Renversement qui se réalise au XVème siècle avec la révolution économique d’où sont sorties la société bourgeoise et la psychologie de l’homme moderne.
Ce sont en effet les rapports de la psychologie de l’homme moderne avec la famille conjugale qui se proposent à l’étude du psychanalyste ; cet homme est le seul objet qu’il ait vraiment soumis à son expérience, et si le psychanalyste retrouve en lui le reflet psychique des conditions les plus originelles de l’homme, peut-il prétendre à le guérir de ses défaillances psychiques sans le comprendre dans la culture qui lui impose les plus hautes exigences, sans comprendre de même sa propre position en face de cet homme au point extrême de l’attitude scientifique ?
Or, en notre temps, moins que jamais, l’homme de la culture occidentale ne saurait se comprendre hors des antinomies qui constituent ses rapports avec la nature et avec la société : comment, hors d’elles, comprendre et l’angoisse qu’il exprime dans le sentiment d’une transgression prométhéenne envers les conditions de sa vie, et les conceptions les plus élevées où il surmonte cette angoisse en reconnaissant que c’est par crises dialectiques qu’il se crée, lui-même et ses objets.

Rôle de la formation familiale. – Ce mouvement subversif et critique où se réalise l’homme trouve son germe le plus actif dans trois conditions de la famille conjugale.
Pour incarner l’autorité dans la génération la plus voisine et sous une figure familière, la famille conjugale met cette autorité à la portée immédiate de la subversion créatrice. Ce que traduisent déjà pour l’observation la plus commune les inversions qu’imagine l’enfant dans l’ordre des générations, où il se substitue lui-même au parent ou au grand-parent.
D’autre part, le psychisme n’y est pas moins formé par l’image de l’adulte que contre sa contrainte : cet effet s’opère par la transmission de l’idéal du moi, et le plus purement, nous l’avons dit, du père au fils ; il comporte une sélection positive des tendances et des dons, une progressive réalisation de l’idéal dans le caractère. C’est à ce procès psychologique qu’est dû le fait des familles d’hommes éminents, et non à la prétendue hérédité qu’il faudrait reconnaître à des capacités essentiellement relationnelles.
Enfin et surtout, l’évidence de la vie sexuelle chez les représentants des contraintes morales, l’exemple singulièrement transgressif de l’imago du père quant à l’interdiction primordiale exaltent au plus haut degré la tension de la libido et la portée de la sublimation.
C’est pour réaliser le plus humainement le conflit de l’homme avec son angoisse la plus archaïque, c’est pour lui offrir le champ clos le plus loyal où il puisse se mesurer avec les figures les plus profondes de son destin, c’est pour mettre à portée de son existence individuelle le triomphe le plus complet contre sa servitude originelle, que le complexe de la famille conjugale crée les réussites supérieures du caractère, du bonheur et de la création.
En donnant la plus grande différenciation à la personnalité avant la période de latence, le complexe apporte aux confrontations sociales de cette période leur maximum d’efficacité pour la formation rationnelle de l’individu. On peut en effet considérer que l’action éducative dans cette période reproduit dans une réalité plus lestée et sous les sublimations supérieures de la logique et de la justice, le jeu des équivalences narcissiques où a pris naissance le monde des objets. Plus diverses et plus riches seront les réalités inconsciemment intégrées dans l’expérience familiale, plus formateur sera pour la raison le travail de leur réduction.
Ainsi donc, si la psychanalyse manifeste dans les conditions morales de la création un ferment révolutionnaire qu’on ne peut saisir que dans une analyse concrète, elle reconnaît, pour le produire, à la structure familiale une puissance qui dépasse toute rationalisation éducative. Ce fait mérite d’être proposé aux théoriciens – à quelque bord qu’ils appartiennent – d’une éducation sociale à prétentions totalitaires, afin que chacun en conclue selon ses désirs.

Déclin de l’imago paternelle. – Le rôle de l’imago du père se laisse apercevoir de façon saisissante dans la formation de la plupart des grands hommes. Son rayonnement littéraire et moral dans l’ère classique du progrès, de Corneille à Proudhon, vaut d’être noté ; et les idéologues qui, au XIXème siècle, ont porté contre la famille paternaliste les critiques les plus subversives ne sont pas ceux qui en portent le moins l’empreinte.
Nous ne sommes pas de ceux qui s’affligent d’un prétendu relâchement du lien familial. N’est-il pas significatif que la famille se soit réduite à son groupement biologique à mesure qu’elle intégrait les plus hauts progrès culturels ? Mais un grand nombre d’effets psychologiques nous semblent relever d’un déclin social de l’imago paternelle. Déclin conditionné par le retour sur l’individu d’effets extrêmes du progrès social, déclin qui se marque surtout de nos jours dans les collectivités les plus éprouvées par ces effets : concentration économique, catastrophes politiques. Le fait n’a-t-il pas été formulé par le chef d’un état totalitaire comme argument contre l’éducation traditionnelle ? Déclin plus intimement lié à la dialectique de la famille conjugale, puisqu’il s’opère par la croissance relative, très sensible par exemple dans la vie américaine, des exigences matrimoniales.
Quel qu’en soit l’avenir, ce déclin constitue une crise psychologique. Peut-être est-ce à cette crise qu’il faut rapporter l’apparition de la psychanalyse elle-même. Le sublime hasard du génie n’explique peut-être pas seul que ce soit à Vienne – alors centre d’un État qui était le melting-pot des formes familiales les plus diverses, des plus archaïques aux plus évoluées, des derniers groupements agnatiques des paysans slaves aux formes les plus réduites du foyer petit-bourgeois et aux formes les plus décadentes du ménage instable, en passant par les paternalismes féodaux et mercantiles – qu’un fils du patriarcat juif ait imaginé le complexe d’Œdipe. Quoi qu’il en soit, ce sont les formes de névroses dominantes à la fin du siècle dernier qui ont révélé qu’elles étaient intimement dépendantes des conditions de la famille.
Ces névroses, depuis le temps des premières divinations Freudiennes, semblent avoir évolué dans le sens d’un complexe caractériel où, tant pour la spécificité de sa forme que pour sa généralisation – il est le noyau du plus grand nombre des névroses – on peut reconnaître la grande névrose contemporaine. Notre expérience nous porte à en désigner la détermination principale dans la personnalité du père, toujours carente en quelque façon, absente, humiliée, divisée ou postiche. C’est cette carence qui, conformément à notre conception de l’Œdipe, vient à tarir l’élan instinctif comme à tarer la dialectique des sublimations. Marraines sinistres installées au berceau du névrosé, l’impuissance et l’utopie enferment son ambition, soit qu’il étouffe en lui les créations qu’attend le monde où il vient, soit que, dans l’objet qu’il propose à sa révolte, il méconnaisse son propre mouvement.

Jacques M. LACAN, Ancien chef de clinique à la Faculté de Médecine.

Dr Christian Colbeaux, psychiatre, psychanalyste à Lille, chef de service du CSAPA du centre hospitalier de Douai

 

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Masculin/Féminin : « Poupées roses et autos bleues » https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/masculinfeminin-poupees-roses-et-autos-bleues.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/masculinfeminin-poupees-roses-et-autos-bleues.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:56:19 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=133 Continuer la lecture ]]> A l’école maternelle de Järfälla, dans la banlieue de Stockholm, il aura suffi qu’une chercheuse spécialisée dans les questions de « genre » vienne observer la vie de la collectivité pour que les éducateurs perdent leurs illusions. En Suède, on ne plaisante pas avec l’égalité des sexes. Or, malgré tous leurs efforts, filles et garçons continuent dans cette école de ne pas jouer aux mêmes jeux, de ne pas bouger de la même façon, d’interagir avec leurs pairs selon des modalités différentes. Pis : lors des repas, une nuée de petites filles s’active autour de garçons attablés… L’horreur. Et la preuve irréfutable que les stéréotypes ont la vie dure.

Question de nature ? De culture ? Nos différences biologiques constitutives jouent-elles un rôle dans la spécificité des comportements de chacun et de chacune ? Celle-ci est-elle le produit de nos constructions sociales ? Entre les tenants des thèses « naturalisantes » et ceux qui, issus des sciences humaines, questionnent la domination masculine en analysant les inégalités de statuts et de rôles, le débat prend souvent l’allure d’un duel. Le vrai, sans doute, est entre les deux. Devenir fille ou garçon est un processus précoce, dans lequel interviennent trois types de facteurs : des prédispositions biologiques, l’environnement socioculturel et l’activité propre de l’enfant. Mais, si duel il doit y avoir, il n’est plus en faveur du biologique.

Commençons donc par lui, et par ces deux chromosomes sexuels grâce auxquels tout arrive : X dans les ovules, X ou Y dans les spermatozoïdes, et le tour est joué. Selon la répartition des chromosomes dans l’oeuf issu de la fécondation, l’enfant à naître sera XX ou XY. De là découlera pour l’embryon une succession de différenciations hormonales, anatomiques et physiologiques, qui feront naître une fille ou un garçon.

Ces fondements établis, que sait-on de l’influence biologique sur nos comportements de genre ? Rien, ou presque. Bien sûr, les hormones sexuelles, mâles (androgènes) et femelles (oestrogènes), jouent un rôle central dans le développement de l’enfant à naître. Mais les deux types d’hormones sont présents chez chacun de nous, seul leur taux relatif faisant basculer les caractères sexuels d’un côté ou de l’autre. « Il suffit ainsi que manque un récepteur aux androgènes pour que le sujet porteur de cette anomalie exprime un phénotype féminin, alors même qu’il est chromosomiquement masculin. Mais de là à dire que tel comportement est lié ou non aux hormones… je ne m’y risquerais pas », commente Jean-Pierre Changeux. Pour ce neurobiologiste réputé, professeur au Collège de France, le prétendu « sexe du cerveau » ne constitue pas un objet d’étude véritablement pertinent. « La variabilité cérébrale individuelle est extrêmement importante, mais je ne ferais pas de différences particulières entre les hommes et les femmes », précise-t-il.

Catherine Vidal est plus catégorique encore. « Il n’y a aucune différence d’aptitudes cognitives, intellectuelles et émotionnelles, entre les cerveaux d’une femme et d’un homme. Ou, plus exactement : ni plus ni moins qu’entre deux cerveaux d’individus d’un même sexe », affirme-t-elle. A côté de ses recherches proprement dites, cette neurobiologiste, directrice de recherche à l’Institut Pasteur, s’est spécialisée dans l’étude des publications, florissantes dans la recherche anglo-saxonne, qui portent sur ce thème. Elle a appris à y débusquer les biais méthodologiques. Voire idéologiques.

« Prenons l’exemple du corps calleux, ce faisceau de fibres qui relient les hémisphères du cerveau. On a beaucoup dit que, si les femmes sont capables de faire plusieurs choses à la fois, c’est parce que leur corps calleux est plus large que celui des hommes, et qu’elles sont de ce fait davantage capables d’activer simultanément leurs deux hémisphères. Or cette observation anatomique remonte à 1982 et avait été faite sur 20 cerveaux conservés dans le formol. Depuis, on a mesuré le corps calleux de centaines de sujets : aucune différence statistiquement significative entre les sexes n’a pu être démontrée », détaille-t-elle.

En aurait-il été autrement, cela n’aurait encore rien prouvé. Car la question fondamentale, qui est au coeur des préoccupations des neurobiologistes, c’est celle de la relation existant entre les structures et les fonctions cérébrales. Question d’autant moins résolue qu’on le découvre chaque jour un peu plus : nos circuits de neurones, pour l’essentiel, se fabriquent au gré de notre histoire personnelle.

Si le biologique joue si peu dans l’affaire, pourquoi diable les petites filles continuent-elles à jouer à la poupée et les garçons aux petites voitures ? Ceux qui sont aujourd’hui les plus à même de répondre travaillent dans une discipline à peine trentenaire : les « études de genre » (gender studies). Nées dans les années 1970, elles ont permis d’accumuler une foule de données, qui, toutes, montrent l’importance de l’apprentissage, des codes culturels et de l’imprégnation idéologique dans l’adoption des comportements de « genre ».

A l’école suédoise de Järfälla, la chercheuse dépêchée par le programme gouvernemental sur l’égalité des sexes a vite compris ce qui se passait. Après avoir longuement filmé les activités des enfants, leurs relations avec les adultes et le déroulé des repas, elle a livré ses conclusions aux éducateurs : sans le vouloir, ces derniers réservaient aux filles et aux garçons un traitement bien différent. Aux premières, l’obligation de se tenir tranquilles, d’être sociables et attentives aux autres. Aux seconds, l’encouragement aux activités physiques et la permission de réclamer haut et fort.

Rien de très différent, en somme, de ce qui perdure dans la plupart des familles et des écoles occidentales… « Malgré l’évolution des mentalités, les attitudes éducatives restent aujourd’hui encore très éloignées d’un modèle unisexe dans la majorité des pays développés », précise Gaïd Le Manner-Idrissi. Professeur de psychologie du développement à l’université Rennes-II, elle étudie comment se construit l’identité sexuée des tout-petits. « Ils savent qu’ils sont fille ou garçon entre 24 et 36 mois », précise-t-elle. Mais les adultes, eux, le savent – au moins – dès la naissance. Et, quelle que soit leur volonté d’égalité, ils ne se conduiront pas de la même façon avec l’une et avec l’autre. La preuve… par le pyjama.

« Si on présente à des adultes un enfant au genre peu reconnaissable, les commentaires à son sujet ne seront pas les mêmes selon le pyjama. Si celui-ci est rose, on s’extasiera sur cette petite fille fine et délicate. S’il est bleu, on admirera chez le même enfant la robustesse et la tonicité ! », détaille la psychologue. Jeux, habits, décoration de leur chambre : les bébés, très tôt, évoluent dans un milieu physiquement différencié. Résultat : quand, à la crèche, plusieurs types de jouets leur sont présentés, les filles âgées de 24 mois choisissent de préférence les jouets dits « féminins », les garçons ceux dits « masculins ».

Une fois en âge de définir leur identité sexuée, les enfants, bien souvent, accentuent encore la différence. Le milieu familial y est pour beaucoup. En France, les dernières observations de l’Institut national d’études démographiques (INED), publiées en avril 2009, ont montré que les tâches domestiques sont encore largement assurées par les mères. Le discours a beau être égalitaire, les femmes ne sont toujours pas des hommes comme les autres. Et les petits, filles ou garçons, ont tôt fait de le savoir. Sans parler de l’influence des pairs, très importante dès l’école. Combien de parents, fermement décidés à ne pas habiller leur fille en rose, durent céder parce qu’elle voulait faire « comme les copines » ?

Filles plus bavardes, garçons plus agressifs : maintes fois vérifiés, ces clichés sont-ils amenés à disparaître à la prochaine génération ? Pas si sûr. Les stéréotypes culturels ont de solides racines. Et la part du déterminisme biologique, pour être faible, n’en est pas moins réelle. « Dans les trois premiers mois de vie, il se produit chez les garçons une poussée d’hormones mâles très importante », précise Bernadette Rogé. Pour cette psychologue clinicienne de Toulouse, aujourd’hui reconnue pour ses travaux sur l’autisme, un événement de cet ordre, bien que temporaire, peut être lourd de différences. Plus calmes dans les premiers mois de leur vie, les petites filles mettraient beaucoup plus d’énergie à sourire, à vocaliser… Attitudes qui seraient renforcées par leur environnement social, et ainsi de suite. Par une sorte de spirale évolutive, on arriverait finalement à des dynamiques de construction identitaire très éloignées chez les filles et les garçons.

Un peu de nature, beaucoup de culture… Et si l’essentiel était de séparer ce qui relève de la différence et ce qui ressort des inégalités ? « Dans nos sociétés occidentales, la socialisation sexuée est encadrée par un double modèle, celui de la croyance en la différence « naturelle » des sexes et celui de l’aspiration à l’égalité des hommes et des femmes », souligne la sociologue Michèle Ferrand (laboratoire Cultures et sociétés urbaines du CNRS). Une contradiction que les éducateurs de Järfälla ont bien l’intention de résoudre : pour permettre aux petits Suédois de profiter en toute tranquillité des jeux de « l’autre sexe », ils ont instauré dans l’école deux temps non mixtes d’une heure trente par semaine.

Catherine Vincent, LE MONDE  06.08.09

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Autisme : le travail du psychanalyste pour l’enfant et à ses parents https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/autisme-le-travail-du-psychanalyste.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/autisme-le-travail-du-psychanalyste.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:51:37 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=131 Continuer la lecture ]]> Quel est le travail que peut proposer un psychanalyste à un enfant souffrant de « troubles du spectre autistique » et à ses parents?

Si j’avais une plaidoirie à prononcer pour que l’on confie en France les enfants souffrants d’Autisme ou de  Troubles Envahissants du Développement,   aux soins mis en place par le secteur public de Psychiatrie Infanto Juvénile, je  dirais les choses suivantes.

Je demanderai d’abord : qu’est – ce qu’un enfant, quel est son statut ?

Et je dirai qu’il  vient au monde comme témoin que la rencontre  entre un homme et une femme a été bénie.

Freud avait nommé cela Behajung primitive. Jacques Lacan a préféré le terme de Symbolisation. Symbolisation parce que ce « oui ! » de la bénédiction implique logiquement un «  non ». Le fameux « Oui, mais pourvu qu’il ne ressemble pas à la tante Adèle ! »

Tous ces propos dans l’attente d’un enfant, nous les connaissons et ils sont nécessaires à ce que l’enfant à venir soit pris dans un processus non seulement vital mais aussi langagier.

Ce non de la symbolisation sera refoulé , c’est ce qui fait qu’une mère , qu’ un père, sont en mesure d’accueillir leur enfant à sa naissance  et l’investiront , y compris s’ils sont dépressifs.

En ce sens nous pouvons tout à fait dire avec Lacan que l’enfant, avant sa naissance et à sa naissance, est inscrit dans un processus langagier, naît dans un bain de langage, même s’il ne parle pas encore. Un enfant de quelques heures tourne la tête en direction de sa mère quand cette dernière rentre à voix haute dans la pièce où il se trouve, alors même  qu’il ne possède pas la maturité neurophysiologique de la vision.

L’autisme, les troubles envahissants du développement, mettent à mal ce tableau que je viens de  décrire. Parce, que cet enfant pour des raisons que l’on appréhende que peu encore, semble  indifférent  aux effets de cette symbolisation primitive …

Qu’est ce qui se passe malgré les soins intensifs, les stimulations intensives des parents ?

L’enfant, le bébé ne répond toujours pas…ou peu .Il ne regarde pas son père, sa mère. Il semble ne pas les entendre au point que des examens   concernant l’audition et la vue seront pratiqués  … C’est à dire que le fonctionnement de la  fonction des orifices (œil, oreille) que les psychanalystes rattachent à la sphère pulsionnelle, dysfonctionne.

Je  dirais, à la suite de  Marie-Christine Laznik qui   nous  démontre avec les films familiaux que ces parents sont sidérés sans pouvoir se le dire et que l’inquiétude gagne au fil d’interactions qui  ne se passent pas, eu égard au   processus engendré par les troubles de l’enfant, troubles que l’enfant ignore lui même. La mère de Sean Baron raconte comment Sean  pleurait continuellement  sans que l’on puisse le consoler de la moindre des façons.

A cet endroit là, j’oserais parler de traumatisme chez les parents et l’enfant.

Le traumatisme pour le psychanalyste, c’est un réel que le sujet ne peut pas dialectiser.

Cela a des conséquences sur la lecture qu’il va faire de la vie qu’il mène.

Concernant l’enfant,  malgré tout et sans le savoir, il a investi ses parents .C’est tout à fait vérifiable dans l’après coup,  que l’enfant investissait ses parents, bien avant tout traitement et contre toute apparence, et ce, dès le début de la vie.

C’est sur cela que le psychanalyste va s’appuyer dans le traitement de ce traumatisme transitif entre les parents et leur enfant.

Ça n’est pas une démarche  de la part du psychanalyste qui consisterait à  s’appuyer sur « la partie saine du moi » Sa démarche va être celle de prendre appui  sur la symbolisation primitive dont je parlais plus haut,  celle qui fait que cet enfant est pris dans un processus vital et langagier, et qu’il  a à le vivre  … malgré le réel de sa pathologie.

Tout cela, je l’ai appris, je l’apprends tous les jours   de la bouche de mes jeunes  patients et de quelques uns de mes maitres, Freud, Lacan, Melman, Laznik.

Pour garder toute confidentialité et anonymat, je parlerai d’un jeune homme de 22 ans  séjournant à présent dans un lieu de vie communautaire et catholique.

Dans cette communauté où l’on arpente au printemps les chemins de Compostelle, les relations humaines entre homme et femme ne sont pas interdites mais bénies à la condition qu’elles revêtent le sérieux et les sacrements qui s’y rattachent au regard de la religion catholique.

Ça n’a pas été sans mal de le faire admettre dans cette institution, précisément à cause de sa singularité dans les rapports humains et de ses « passions » peu communes.

Cet enfant comme beaucoup d’autres que j’ai accompagné avait six ans quand j’ai commencé à m’occuper de lui. Il ne pouvait pas, sinon  à lui faire grande violence,  me rencontrer en dehors de la présence de sa mère qu’il ignorait par ailleurs du regard et qu’il instrumentalisait, par exemple, lui prenant la main pour qu’elle fasse à sa place ce qu’il était parfaitement capable de faire lui même.

Huit ans ont passés où nous nous rencontrions tous les trois, jouions,  discutions, dessinions, écrivions, lisions, à raison de deux fois par semaine.  Il rencontrera plus tard ma collègue orthophoniste, seul, et je crois pouvoir dire que notre travail avec sa maman  lui   a permis d’accepter de rencontrer les autres et  de se laisser déranger de ses « manies » ou « obsessions » où encore « stéréotypies… »

Pendant près de deux ans, nous avions joué avec une petite famille d’éléphants en feutrine. Ce jeu, en parlant avec lui, en riant parfois de ses trouvailles, devenait de plus en plus symbolique et s’enrichissait de personnages nouveaux. De fait,  il arrachait systématiquement la patte du grand éléphant.  Nous  la recollions  jusqu’à la séance suivante et nous  construisions  des histoires avec sa maman et lui.  Il voulait sans cesse mettre dans une  petite maison sa mère et lui, uniquement tous les deux…excluant  son père et sa sœur…

Croyez vous qu’un psychanalyste, avec un  enfant dans cette situation,   soit assez bête pour interpréter je ne sais quoi à la mère ? Non…pour ma part, j’étais plutôt ravie qu’il compte déjà sa mère parmi les siens… d’une certaine façon, qu’il arrête d’être comme seul au monde et cela avait des effets sur sa mère, pas des effets culpabilisants comme on se plaît à le souligner mais des effets sur ce que j’ai appelé plus haut ce traumatisme qu’elle avait subi et lui aussi.

Cet enfant, quand il avait quatre mois détournait la tête pour ne pas croiser son regard.
Elle en était venue à lui coincer la tête entre ses mains pour qu’il la regarde.

Elle avait su dès la naissance que son bébé n’allait pas bien. Il n’était pas forcément indifférent aux stimulations d’un étranger et pouvait répondre par un sourire absent.  Cela avait été certainement trompeur pour le pédiatre.

J’ouvre une parenthèse. Le pédiatre n’avait pas prêté attention à ce qui  s’était sans doute  passé quand il avait arrêté de  stimuler l’enfant.  A coup sûr,  il aurait alors  pu constater que ce bébé était retombé  dans son repli d’indifférence… Ce bébé là  n’aurait pas pu relancer  ce jeu  que font les enfants, les bébés, jeu  qui consiste à aller  relancer l’interaction où ils prennent plaisir à faire plaisir à l’autre.

C’est sur ces signes autour de la relation, dans la toute première enfance que nous travaillons. Ils  sont à notre sens, prédicteurs de troubles du spectre  autistique.

Nos recherches vont dans ce sens depuis des années et sont validées par une étude des plus scientifiques : la recherche pratiquée par l’association  PREAUT qui porte sur deux signes observables très tôt dans la vie :

1) L’absence de regard du bébé à l’endroit des siens avant l’âge d’un an.

2) Le  troisième temps de la pulsion. C’est ce  que je viens de décrire plus haut concernant l’interaction : Marie –Christine Laznik a dégagé de  ses travaux,  ce point   fondamental dans la relation aux autres qui est que nous ne retrouvons   pas ce troisième temps de la pulsion chez les bébés souffrant de troubles du spectre autistique.

Mais aussi, pourquoi les parents, la mère, le père,  n’ont même pas droit parfois  à ce  « trognon » de relation consistant en un semblant de sourire lors d’une stimulation,

auquel peut avoir droit, le pédiatre par exemple…   J’évoquerais l’hypothèse que ce bébé là  a identifié sans le savoir, sa mère, son père,  alors qu’il traite les autres visages humains,  comme les objets inanimés qu’il commence à investir.

Pour être plus précise, il traite le reste des humains comme il traite les sources lumineuses ou le  porte clés avec son bruit de cliquetis…qui peuvent être source d’une sorte d’intérêt.

Je ferme la parenthèse pour en revenir au jeune homme dont je parlais.

Je l’ai  rencontré  encore quelques années, jusqu’à ses dix neuf ans.

Tout seul, à sa demande, et aussi à celle de sa mère, à partir de  l’âge de treize ans.

Passionné d’histoire des civilisations, de la Bible, il a pu se mettre à la lecture et l’écriture et  a pu faire un parcours scolaire malgré sa grande difficulté à parler distinctement. Ce symptôme là, il l’a gardé, mais s’est toujours efforcé de bien se  faire comprendre…

Il a des talents en informatique qu’il a mis au service de ses camarades dans son lieu de vie…Rien d’exceptionnel me dira t-on, sinon que tout ce qu’il a pu faire, il l’a adressé, à ses parents, à sa sœur puis à lui,  et enfin  à son entourage plus élargi.

D’un point de vue juridique, il n’est pas sous tutelle mais sous curatelle simple et peut donc voter. Il a ses idées politiques bien sur et la liberté d’unir sa vie à quelqu’un si il le désire.

Il n’est pas à ce jour dégagé de toute angoisse mais vit, parmi et avec les autres,  avec sa singularité.

J’évoque le cas de ce patient par ce que  je viens d’avoir de ses nouvelles et qu’il a demandé à me rencontrer prochainement.

J’ai toujours accompagné ses parents dans leurs démarches et me suis déplacée toutes les fois qu’il a fallu aller plaider sa cause…

Travail singulier pour un psychanalyste.  Il n’a pas profité seulement de mes soins.

Je travaille dans une équipe pluridisciplinaire. Je n’interviens pas dans les apprentissages…Je rencontre des enfants avec leurs parents. Dernièrement, je répondais  à un père qui me faisait remarquer que je considérais l’autisme comme une maladie puisque j’y apportais des soins qui plus est, psychanalytiques…et qui  me demandait aussi ce que je visais  dans le travail que je pouvais  proposer pour son fils. Ainsi, lui ai-je répondu : C’était peut-être  que l’enfant et ses parents souffrent moins  de ce traumatisme causé par l’absence de relation entre eux et cela souvent   depuis la naissance.

Qu’un enfant autiste, qu’un adulte autiste soit quelqu’un de singulier et il l’est… pour ma part, ce qui me soucie  le plus, du point de vue de mon travail bien sûr, est  qu’il ait un rapport aux  autres,  parmi les autres, si singulier soit-il.

J’ajouterai, que plus les enfants sont soignés tôt, c’est à dire bébés, plus on évite que s’installe toute la psychopathologie que nous rencontrons plus tard…

C’est dans ces termes que travaillent les psychanalystes depuis bien longtemps…

La forteresse vide n’a jamais été vide, c’est le pari que nous tenons.

Si nous écartions toute dimension psychique de cette première relation entre un enfant souffrant de troubles autistiques et ses parents, c’est un peu comme si nous l’enlevions à ses parents.

Dans ma pratique clinique, je me suis battue pour que les enfants autistes ou psychotiques aient une instruction, apprennent comme tous les enfants et l’équipe pluridisciplinaire dans laquelle je travaille, y compris avec des collègues issus d’autres formations, s’y emploie.

Il ne nous est jamais venu à l’esprit qu’il y avait d’un côté le psychisme et de l’autre côté l’apprentissage. Il ne nous est  jamais venu à l’esprit que seul le travail psychique suffisait ou même que seul l’apprentissage constituait un traitement.

Ce qui m’ apparaît, au fil des années et de l’expérience dans mon travail avec les tout petits (parfois neuf  mois lors de la première consultation) c’est qu’il faut  sortir les parents de la sidération et du traumatisme   dans lesquels  ils se sont  trouvé avec cet enfant là. Cela a des effets importants sur l’enfant.

Parce que ce qu’il y a d’extraordinaire avec de tels enfants, c’est que la façon dont l’environnement va réagir, ce qui va pouvoir se  mettre en place en collaboration avec les parents de l’enfant va avoir des effets bénéfiques tant sur son retard de développement que sur son intelligence. Nous allons travailler sur  tout ce qui a trait à la relation aux siens : regarder l’autre, se déplacer pour aller vers lui, se lever, marcher vers l’autre, s’intéresser à sa voix et enfin   parler à l’autre…

Cela participe d’un développement  neurobiologique bien  sûr mais ne va pas sans cet  environnement dont nous faisons le pari  que l’enfant, lui, le   privilégie et particulièrement  celui de ses parents. Ils vont nous aider et nous allons les  aider à reconstruire cette relation au monde, et pas  seulement à son monde, relations  dont l’enfant ne semblait pas vouloir.

Site freud-lacan.com, Auteur : Paule Cacciali

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Une mauvaise passe dans la psychanalyse https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/mauvaise-passe-pour-la-psychanalyse.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/mauvaise-passe-pour-la-psychanalyse.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:47:49 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=129 Continuer la lecture ]]>

psychanalyse_lacan

Il y a trente ans, le 9 septembre 1981, mourait le psychanalyste Jacques Lacan. Cet anniversaire, sera marqué par la publication de plusieurs ouvrages importants, parmi lesquels un nouveau Séminaire du « maître » et le livre pénétrant, accessible et touchant, d’Elisabeth Roudinesco : Lacan, envers et contre tout. En trente ans, les temps ont bien changé : le maître n’a pas été remplacé ; la discipline a subi de violentes attaques ; la société s’est marchandisée, métamorphosée. Résultat : le statut de la psychanalyse, son impact sur la culture et la pensée contemporaines sont sérieusement ébranlés. Mais persiste le malaise dans notre civilisation, comme disait Freud. Analyse…

Dans les années 1960 et 1970, elle faisait un malheur : Lacan était une idole, Dolto cartonnait à la radio, et si tout le monde ne s’allongeait pas sur le divan, la psychanalyse était reine dans les médias et la vie intellectuelle. Un Lacan génial et déjanté pouvait refonder à lui seul la discipline, en mobilisant aussi bien la philosophie et la linguistique que la topologie. La psychanalyse dialoguait avec des figures aussi charismatiques que Lévi-Strauss ou Foucault. Pour beaucoup, brillants médecins ou philosophes formés aux humanités, les « psys » formaient une élite intellectuelle.

Cet âge d’or n’est plus. Avant, on se tournait d’abord vers la psychanalyse pour venir en aide aux âmes tourmentées. Désormais, on ne compte plus les prétendants déterminés à lui faucher sa place. En premier lieu, les thérapies cognitives et comportementales (TCC), qui ont une vision bien différente de la cure : quand les analyses sont longues, les TCC sont brèves, se résumant parfois à quelques séances. Quand l’analyste est avare de ses mots, le thérapeute est beaucoup moins distant : il discute avec son patient, lui prescrit des exercices, conçoit des expériences et des travaux pratiques.

La guerre continue entre psychanalyse
et thérapies cognitives et comportementales.

Pour ces nouvelles thérapies, une chose prime : faire disparaître les symptômes gênants. Précisément ce que déplore la psychanalyste et philosophe Clotilde Leguil : « On évacue ainsi la vérité que le symptôme peut représenter pour le sujet. La phobie, par exemple, ne sera pas inscrite dans une histoire singulière, mais considérée comme un trouble à éradiquer, en rééduquant les patients, pourquoi pas en groupe. » Tout sépare, en fait, la psychanalyse et les TCC. Et, depuis quelques années, elles se livrent une lutte sans pitié. En 2004, les tenants des TCC lançaient une campagne pour disqualifier la psychanalyse, en s’appuyant sur un rapport Inserm controversé compilant des études internationales sur l’efficacité comparée des thérapies : les psychanalystes indignés sont montés au créneau, le rapport a été enterré. Mais la guerre continue, désormais au grand jour, avec l’objectif, pour les « TCC », de faire de la psychanalyse une offre comme une autre (et pas très « performante ») dans le catalogue hétéroclite des psychothérapies disponibles sur le marché de la santé mentale.

Le temps des polémiques
Qu’on se le dise, il ne fait plus bon être freudien. « Les psychanalystes ont toujours eu tendance à se prendre pour des martyrs, mais aujourd’hui ils le sont vraiment », résume avec malice Pierre-Henri Castel, psychanalyste et directeur de recherches au CNRS. De fait, ces dernières années, les coups n’ont pas manqué. La psychanalyse a l’habitude ! Les critiques qui, dès sa naissance, dénonçaient son manque de scientificité ou jugeaient consternantes ses théories sur la sexualité n’ont pas disparu. Mais les attaques sont devenues plus virulentes. Dans L’Autorité des psychanalystes, l’anthropologue Samuel Lézé souligne ainsi un véritable renversement : en moins de dix ans, le discours critique sur la psychanalyse s’est vu supplanté par un discours sur la crise de la psychanalyse. En témoignent les polémiques soulevées par Le Livre noir de la psychanalyse, auquel participent des pro-TCC, ou le pamphlet d’Onfray, Le Crépuscule d’une idole, sous-titré sans détour L’affabulation freudienne. Fini, le prestige intellectuel et social des psys ! Ils sont traités comme des charlatans, leurs théories qualifiées de fausses et de fantaisistes. Pis encore : ils nuiraient gravement à leurs patients.

Comme le remarque Samuel Lézé, la place accordée dans les médias à ces polémiques témoigne de la surface sociale que conserve encore, malgré tout, la psychanalyse. Entre la discrétion de l’expérience du divan et le brouhaha médiatique, elle est à la fois invisible et… omniprésente. Les menaces n’en sont pas moins réelles : attaques des comportementalistes, mais aussi essor des neurosciences, qui débordent de plus en plus du cadre biologique pour s’intéresser à la psychologie, ou encore la place accordée à la psychopharmacologie en psychiatrie. Ainsi, en 1980, soit un an avant la mort de Lacan, paraissait aux Etats-Unis la troisième édition du Manuel diagnostique et statistique des trou­bles mentaux (DSM III), qui s’est vite imposé dans la classification des troubles du comportement.

Excluant tout recours aux théories psychanalytiques, ce manuel témoigne d’une vision médicalisée de la psychiatrie et réduit l’individu à ses comportements. Roland Gori, psychanalyste et professeur émérite de psychopathologie clinique de l’université d’Aix-Marseille, en a observé les conséquences : le recul de la psychanalyse dans les institutions psychiatriques et les départements de psychologie. Avec verve, il dénonce la progression d’une psy­chiatrie sécuritaire, symptomatique de l’intolérance sociale croissante face aux écarts de comportement. « La psychanalyse, pour moi, c’est le nom de ce qui s’oppose à la tyrannie de la norme et des classifications sociales ou pathologiques. Les gens viennent à elle aujourd’hui pour se sentir sujets, pour se sentir vivants psychiquement ! Certains chercheurs, journa­lis­tes ou artistes expriment la même souffrance face à la normalisation sociale et aux dispositifs centrés sur les nouvelles formes d’évaluation. C’est ce qui m’a conduit à donner une orientation politique à mon enga­gement. »

Un corps fragmenté
D’où « l’Appel des appels », lancé fin 2008 à son initiative avec un autre psychanalyste, Stefan Chedri. Leur éthique : « remettre l’humain au coeur de la société » en réunissant des professionnels du soin, du travail social, de la justice, de l’éducation, de la recherche, de l’information ou de la culture. Lancée début 2009, leur pétition est un indéniable succès, avec plus de 80 000 signatures recueillies. Quant au sentiment d’être en porte-à-faux avec les valeurs néolibérales, l’obsession de la performance et les évaluations chiffrées, il est largement partagé chez les psychanalystes (même s’il ne les conduit pas tous, loin de là, à s’engager politiquement). L’organisation de la santé mentale, par exemple, est souvent perçue comme une menace : elle entend moderniser l’offre de soins et la rendre plus transparente, pour faire jouer la concurrence. Or, faire une analyse, c’est long et cher. D’où la tentation de privilégier les thérapies brèves, moins coûteuses pour l’Etat…

On l’aura compris : l’époque est peu amène avec la psychanalyse. D’autant que des critiques s’élèvent… dans ses propres rangs. La psychanalyste Ana de Staal, traductrice et éditrice, déplore le manque d’ouverture de la discipline en France. Au sein des éditions Ithaque, elle s’emploie à mieux faire connaître des œuvres étrangères, à promouvoir une psychanalyse ouverte aux autres cultures, aux autres courants, aux autres disciplines. Avec un succès encore limité… Dans son Histoire de la psychanalyse en France, Elisabeth Roudinesco ne ménage guère, elle aussi, ses confrères : « Les psychanalystes ont tendance à ne lire que les productions de leur propre groupe, se confortant ainsi dans la recherche non pas de l’altérité, mais de l’identique à soi. » La psychanalyse française est ainsi marquée par la dissémination des groupes et des écoles, en particulier au sein des lacaniens.

“De plus en plus de gens ne demandent pas d’analyse
à proprement parler. Ils viennent voir un « psy »…”
Sophie Mendelsohn, psychanalyste.

Scissions, scissions de scission… En 1985, on comptait pas moins de quatorze groupes issus de la dissolution par Lacan, en 1980, de l’Ecole freudienne de Paris (EFP). Entre 1985 et 2000, cinq groupes disparaissent et quatorze apparaissent, phénomène qui reflète, c’est vrai, une certaine liberté. Dans le même temps, la psychanalyse recule chez les grands éditeurs de littérature générale, et les petites antennes éditoriales (à faible tirage) se multiplient. On retrouve cet éclatement dans les revues : certaines des plus importantes, comme la Nouvelle Revue de psychanalyse, ont disparu ; le nombre des petites, lui, augmente. Total : vingt-trois ! Et l’heure de la synthèse n’est pas près de sonner : il n’y a pas de nouveau Lacan à l’horizon. En revanche, les désaccords – sur l’homoparentalité ou l’usage de certaines techniques de procréation médicalement assistée, par exemple – sont nombreux.

C’est d’ailleurs l’autre arme brandie contre la psychanalyse : elle serait vieux jeu, voire réac, attachée à ses rituels et à ses dogmes. N’en déplaise à ses détracteurs, sa pratique n’est pourtant pas figée : l’époque a changé, les analystes aussi. Le nombre de séances hebdomadaires, par exemple, s’est réduit – le plus souvent à deux, au lieu de trois, quatre, voire cinq autrefois. La durée des analyses aussi : les gens n’ont plus la même disponibilité, leurs conditions socio-économiques se sont durcies. Plus étonnant encore, c’est la nature des demandes qui a changé. Sophie Mendelsohn, une jeune psychanalyste exerçant notamment à Sainte-Anne auprès d’enfants et d’adolescents, s’en fait l’écho : « De plus en plus de gens ne demandent pas d’analyse à proprement parler, explique-t-elle. Ils viennent voir un « psy » sans trop savoir ce qu’est un psychanalyste, et découvrent en cours de route ce qu’est l’analyse – en particulier les patients assez jeunes. Mais ce n’est pas nécessairement un obstacle. Ce qui compte, c’est qu’il reste possible de découvrir ce qu’est la psychanalyse en parlant à un analyste. »

Une bouffée d’air
Exerçant à Reims, Lydia Ledig constate que le terme même de « psychanalyse » fait désormais peur à de nombreux patients : « C’est un mot tabou. » Autant de difficultés qui incitent à plus d’inventivité clinique. Les analystes adaptent le prix des séances à la situation de leurs patients chômeurs, étudiants ou intermittents du spectacle ; ils ne comptent pas leur temps, entre les séances, les lectures, les réunions souvent tardives, les journées thématiques ou les séminaires. Et finalement leurs effectifs restent stables : environ 5 500 en France. Malgré les attaques, les crocs-en-jambe et les coups de coude, la psychanalyse a donc sans doute encore de beaux jours devant elle.

“Dans une civilisation qui privilégie le discours scientiste
et le culte de l’évaluation, le sujet peut se sentir écrasé.”

Et pour cause : la souffrance psychique, elle, se porte bien. « La demande reste forte, peut-être même de plus en plus forte, explique Clotilde Leguil. Dans une civilisation qui privilégie le discours scientiste et le culte de l’évaluation, le sujet peut se sentir écrasé, méconnu dans ce qu’il est, dans ce qu’il souffre. La psychanalyse apparaît alors comme une bouffée d’oxygène. » Cette capacité à prendre en charge la singularité reste le grand atout de la psychanalyse, pour Pierre-Henri Castel, qui relate cette anecdote : « Un homme est venu me voir. A l’hôpital, on lui a expliqué qu’il avait un trouble bipolaire, que c’était d’origine génétique, qu’il devait prendre à vie des médicaments et que la psychothérapie n’y pourrait rien. « Eh bien, voilà, ça me déprime », me dit-il. Formule exemplaire des dilemmes d’aujour­d’hui : d’un côté, les gens espèrent qu’on les traitera avec toutes les garanties de l’objectivité scientifique dernier cri, de l’autre, ce qu’ils sont comme individu unique reste étrangement en souffrance. »

Inutile de fantasmer sur l’âge d’or de la psychanalyse : les années 1960-1970 font plutôt figure d’exception. La psychanalyse était alors une contre-culture majeure, liée à la pensée critique ; elle est juste redevenue une contre-culture mineure, en marge des grands axes idéologiques. Et elle en a vu d’autres ! Les psychanalystes, même dans le calme de leur cabinet, ont toujours été des militants. L’adversité, loin de les décourager, raffermit plutôt leurs convictions et leur mobilisation. Et si la psychanalyse était, elle aussi, un sport de combat ?

 Catherine Halper, Télérama n° 3217 Mis à jour le 12 septembre 2011

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exe sorcires salem

Lacan, avec sa quête inlassable de vérité. Que n’a-t-on pas dit sur Jacques Lacan (1901-1981) ? Tour à tour charlatan, tyrannique chef de secte, oracle énigmatique aux écrits indéchiffrables… Elisabeth Roudinesco dissipe ces chimères et restitue vigoureusement le tranchant incomparable d’une parole peu suspecte de frayer avec l’idéologie. Au-delà d’un Lacan qui dénonçait déjà un hédonisme sans limites, une montée de la xénophobie et une haine simpliste de la pensée, l’auteur invite le lecteur à un « vagabondage dans des sentiers méconnus » : un Lacan critique de la famille asphyxiante, explorateur de l’absolue singularité féminine, adepte sceptique et lucide de la Raison et grand collectionneur de livres et d’objets. Le psychanalyste enseigna à ne jamais céder sur son désir, à se battre et se débattre pour devenir soi.

Trente ans après

Depuis la publication, en 1993, de la troisième partie de mon Histoire de la psychanalyse, entièrement consacrée à la pensée, à la vie, à l’oeuvre et à l’action de Jacques Lacan, j’ai souvent eu le sentiment qu’il me serait un jour nécessaire d’effectuer un bilan, non seulement de l’héritage de ce maître paradoxal, mais aussi de la manière dont fut commenté mon propre travail à l’intérieur et à l’extérieur de la communauté psychanalytique.

Sans doute m’étais-je imaginé à tort qu’un travail serein, fondé sur une approche critique, serait de nature à apaiser les passions. Et que peut-être la célèbre phrase de Marc Bloch – « Robespierristes, antirobespierristes, nous vous crions grâce : par pitié, dites-nous, simplement, quel fut Robespierre ! » – que j’avais placée en exergue de mon livre permettrait enfin que soient envisagés, à l’écart des passions, tant la destinée de l’homme que le développement de sa pensée.

Si le résultat fut en grande partie positif, il est évident que l’homme et son oeuvre continuent aujourd’hui de faire l’objet des interprétations les plus extravagantes en un temps où chaque génération a tendance à oublier ce qui s’est passé avant elle, quitte à célébrer l’antériorité patrimoniale et généalogique d’un prétendu « âge d’or » en lieu et place d’une réflexion sur le passé susceptible d’éclairer l’avenir.

A quoi s’ajoutent les délires qui se font jour périodiquement et qui émanent de pamphlétaires peu scrupuleux ou de thérapeutes en mal de notoriété : Freud nazi, antisémite, incestueux, criminel, escroc. Lacan pervers, bête fauve, maoïste, violeur, chef de secte, escroc, tabassant ses femmes, ses patients, ses domestiques, ses enfants, collectionneur d’armes à feu. Tout a été dit à ce sujet et la rumeur se porte bien, de su- renchère en surenchère.

Notre époque est individualiste et pragmatique. Elle aime l’instant présent, l’évaluation, le déterminisme économique, les sondages, l’immédiateté, le relativisme, la sécurité. Elle cultive le rejet de l’engagement et des élites, le mépris de la pensée, la transparence, la jouissance du mal et du sexe pervers, l’exhibition de l’affect et des émotions sur fond d’explication de l’homme par ses neurones ou ses gènes. Comme si une causalité unique permettait de rendre compte de la condition humaine. La montée du populisme en Europe et la séduction que celui-ci exerce sur certains intellectuels prônant ouvertement le racisme, la xénophobie et le nationalisme ne sont sans doute pas étrangères à cette situation.

Il faut dire que l’avènement d’un capitalisme sauvage a contribué à l’extension planétaire de la désespérance et de la misère, associée à la réactivation du fanatisme religieux qui tient lieu, pour certains, de référence politique et d’expérience identitaire. En France, huit millions de personnes souffrent de troubles psychiques et ils se soignent comme ils peuvent : médicaments, thérapies diverses, médecines parallèles, cures en tout genre, développement personnel, magnétisme, etc. Partout dans le monde démocratique, des procédures de médecine de soi se développent à l’infini, à l’écart de la science et, le plus souvent, de la raison. Dans ce monde-là, la quête du plaisir – et non pas du bonheur collectif – s’est substituée à l’aspiration à la vérité. Et comme la psychanalyse est tenue à la recherche de la vérité de soi, elle est entrée désormais en contradiction avec cette double tendance à l’hédonisme, d’une part, au repli identitaire, de l’autre.

Mais du même coup, notre époque produit aussi la contestation de ce qu’elle met en scène : c’est quand le péril est le plus grand, disait Hölderlin, que le salut est le plus proche1 – comme l’espoir d’ailleurs. La preuve : après trois décennies de critiques ridicules contre l’idée même de révolte, voilà qu’émerge, hors de l’Europe qui l’avait vu naître, un nouveau désir de Révolution.

S’agissant de l’histoire de la psychanalyse et de son historiographie, tout se passe donc, après coup, et dans un tel contexte, comme si, malgré l’établissement rigoureux des faits et l’exploration de plusieurs vérités aux multiples facettes, Lacan – après Freud, d’ailleurs, et tous ses successeurs – était toujours regardé tantôt comme un démon, tantôt comme une idole. D’où un manichéisme et un déni de l’histoire. Et les psychanalystes ne sont pas en reste : jargon, posture mélancolique, fermeture aux questions sociales, nostalgie. Ils préfèrent la mémoire à l’histoire, le ressassement à l’établissement des faits, l’amour des temps anciens à celui du présent. Ils oublient volontiers que « demain est un autre jour ». Au point qu’on peut se demander s’ils ne se conduisent pas parfois comme les ennemis de leur discipline et de leur héritage.

C’est en faisant ce constat, et tout en observant les prémices d’une nouvelle espérance, que j’ai eu envie, trente ans après la mort de Lacan, alors que se profile l’évanouissement progressif d’une certaine époque (dite « héroïque ») de la psychanalyse et que les psychanalystes se transforment en psychothérapeutes organisés en une profession réglementée par l’Etat, de parler autrement, et de façon plus personnelle cette fois, du destin du dernier grand penseur d’une aventure intellectuelle qui avait commencé à déployer ses effets à la fin du XIXe siècle, à l’époque du lent déclin de l’Empire austro-hongrois et de toutes les institutions qui y étaient attachées : la famille patriarcale, la souveraineté monarchique, le culte de la tradition, le refus de l’avenir.

J’ai voulu évoquer, à l’intention du lecteur d’aujourd’hui, quelques épisodes marquants d’une vie et d’une oeuvre à laquelle toute une génération a été mêlée, et les commenter avec le recul du temps, de façon libre et subjective. Je voudrais que ce livre soit lu comme l’énoncé d’une part secrète de la vie et de l’oeuvre de Lacan, un vagabondage dans des sentiers méconnus : un envers ou une face cachée venant éclairer l’archive, comme dans un tableau crypté où les figures de l’ombre, autrefois dissimulées, reviennent à la lumière. J’ai voulu évoquer par bribes un autre Lacan confronté à ses excès, à sa « passion du réel2″, à ses objets : en un mot, à son réel, à ce qui a été forclos de son univers symbolique. Un Lacan des marges, des bords, du littéral, transporté par sa manie du néologisme.

Ce Lacan-là a su annoncer les temps qui sont devenus les nôtres, prévoir la montée du racisme et du communautarisme, la passion de l’ignorance et la haine de la pensée, la perte des privilèges de la masculinité et les excès d’une féminité sauvage, l’avènement d’une société dépressive, les impasses des Lumières et de la Révolution, la lutte à mort entre la science érigée en religion, la religion érigée en discours de la science, et l’homme réduit à son être biologique : « Nous allons être submergés avant pas longtemps, disait-il en 1971, de problèmes ségrégatifs que l’on appellera le racisme et qui tiennent au contrôle de ce qui se passe au niveau de la reproduction de la vie, chez des êtres qui se trouvent en raison de ce qu’ils parlent, avoir toutes sortes de problèmes de conscience [...]3. »

Reparler de Lacan trente ans après sa mort, c’est aussi se souvenir d’une aventure intellectuelle qui tint une place importante dans notre modernité, et dont l’héritage reste fécond quoi qu’on en dise : liberté de parole et de moeurs, essor de toutes les émancipations – les femmes, les minorités, les homosexuels -, espoir de changer la vie, la famille, la folie, l’école, le désir, refus de la norme, plaisir de la transgression.

Suscitant la jalousie des clercs qui ne cessent de l’insulter, Lacan se situa pourtant à contre-courant de ces espérances, tel un libertin lucide et désabusé. Certes, il était convaincu que la quête de la vérité était la seule manière de parvenir à substituer le progrès au salut, les Lumières à l’obscurantisme. A condition toutefois, disait-il, de savoir que la rationalité peut toujours se retourner en son contraire et susciter sa propre destruction. D’où sa défense des rites, des traditions et des structures symboliques. Ceux qui le rejettent aujourd’hui, en faisant de lui ce qu’il ne fut jamais et en l’affublant de l’étiquette infamante de « gourou » ou de « pourfendeur de la démocratie », oublient qu’il s’immergea de plain-pied, contre lui-même parfois, dans ces transformations. Au point d’en épouser les paradoxes par ses jeux de langage et de mots que nous nous plaisons aujourd’hui à pratiquer. Le XXe siècle était freudien, le XXIe siècle est d’ores et déjà lacanien.

Lacan n’a pas fini de nous étonner.

Né au début du XXe siècle, et ayant vécu deux guerres féroces, il commença à être célébré dès les années 1930. Mais c’est entre 1950 et 1975 qu’il exerça son plus puissant magistère sur la pensée française, à une époque où la France, dominée par un idéal social et politique hérité des deux mouvements issus de la Résistance, le gaullisme et le communisme, puis par la décolonisation, et enfin par la césure de Mai 1968, se vivait comme la nation la plus cultivée du monde, une nation où les intellectuels occupaient une place prépondérante au sein d’un Etat de droit marqué par le culte d’une République universaliste et égalitaire.

Dans ce contexte, toutes les aspirations fondées sur la raison et le progrès étaient de mise. Et notamment le projet d’améliorer collectivement le sort de tous ceux qui étaient atteints de troubles psychiques : névrosés, psychotiques, dépressifs, délinquants. Et c’est en ces temps-là précisément que Lacan s’obstina à affirmer que l’avancée freudienne était le seul horizon possible des sociétés démocratiques, la seule capable de saisir toutes les facettes de la complexité humaine : le pire comme le meilleur. Il n’en devint pas pour autant, en dépit de son fort penchant pour le pessimisme et l’ironie, un réactionnaire étriqué.

Il fut aussi le seul penseur de la psychanalyse à prendre en compte de manière freudienne l’héritage d’Auschwitz, mobilisant, pour en dessiner l’horreur, tant la tragédie grecque que les écrits du marquis de Sade. Jamais personne, parmi les héritiers de Freud, ne sut, comme lui, réinterpréter la question de la pulsion de mort à la lumière de l’extermination des Juifs par les nazis. Sans cette refonte et sans cette fascination que Lacan éprouva pour la part la plus cruelle et la plus noire de l’humanité, la psychanalyse serait devenue, en France, une piteuse affaire de psychologie médicale, héritière de Pierre Janet, de Théodule Ribot ou, pire encore, de Léon Daudet, de Gustave Le Bon ou de Pierre Debray-Ritzen.

De Vienne à Paris

A mesure que se dessinait, à la fin du XIXe siècle, à la faveur du déclin des souverainetés monarchiques, une nouvelle configuration idéologique fondée sur la peur des foules, l’adhésion à la thèse de l’inégalité des races et la croyance en un idéal de la science susceptible de gouverner les peuples, l’invention freudienne se déployait, au contraire, comme un nouvel humanisme favorisant les libertés individuelles et soucieux d’explorer la part irrationnelle de la nature humaine.

Conservateur éclairé, Freud était convaincu que l’avènement de la démocratie signerait la victoire de la civilisation sur la barbarie. Mais, en bon adepte des Lumières sombres, il était aussi persuadé que cette victoire ne serait jamais acquise et que chaque époque serait toujours menacée, par le progrès humain lui-même, d’un retour permanent de ses pulsions les plus dévastatrices. Autrement dit, il soutenait que la frustration était nécessaire à l’humanité pour contenir son agressivité et ses pulsions sexuelles, mais que celle-ci rendait les hommes malheureux puisque, parmi les vivants, seuls les hommes, à la différence des animaux, étaient habités par un désir de destruction dont ils avaient conscience.

Lacan était plus sombre encore dans son approche de la société humaine, plus marqué, sans doute aussi, par l’idée de la fragilité des régimes démocratiques, plus intéressé par la folie, le crime et la mystique, et finalement plus tourmenté. En un mot, il se distinguait des héritiers de Freud – de Melanie Klein à Donald W. Winnicott et à bien d’autres encore – par la distance qu’il avait prise très tôt vis-à-vis d’une conception de la psychanalyse qui réduisait celle-ci à un corpus clinique.

Freud avait rejeté la philosophie, qu’il compara injustement à un système paranoïaque, pour se tourner vers la biologie, la mythologie, l’archéologie. Lacan fit le chemin inverse en réinscrivant la psychanalyse dans l’histoire de la philosophie et en réintroduisant la pensée philosophique dans le corpus freudien. Par la suite, il voulut faire de la psychanalyse un antidote à la philosophie, une « antiphilosophie », en opposant le discours du maître à celui de l’analyste. Il prit ainsi le risque de rejoindre, contre les Lumières, les suppôts de l’obscurantisme ou des anti-Lumières.

Certes, Lacan était psychiatre et donc clinicien, mais, au fond, il aurait pu devenir autre chose que cela, même si, on l’oublie souvent, il avait une véritable vocation pour la médecine publique. Il ne quitta d’ailleurs jamais l’hôpital Sainte-Anne : « mes murailles », disait-il, quand il prétendait « parler aux murs », souffrant de ne pas être assez entendu. Il y fut interne, puis conférencier, avant de se livrer, au-delà de ce qui est raisonnable, au rituel de la présentation de malades. Et c’est à ce titre qu’il acquit une véritable popularité auprès de milliers de psychologues et de travailleurs de la santé mentale. N’avait-il pas conféré un prestige accru à la thématique des fondateurs de la psychothérapie institutionnelle, née au coeur de la Résistance, à l’hôpital de Saint-Alban en Lozère, et qui avaient promu une médecine mentale au service du malade et non plus soumise aux classifications archaïques issus de l’ancien ordre asilaire ?

1. »Mais aux lieux du péril croît/Aussi ce qui sauve. » Friedrich Hölderlin, « Patmos » in ?uvres, traduction de Gustrave Roud, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade.

2. Selon le mot d’Alain Badiou, Le Siècle, Le Seuil, 2005.

3. Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre XIX …ou pire (1971-1972), Le Seuil, 2011.

Site: L’EXPRESS, publié le

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Le sujet postmoderne entre symptôme et jouissance, de Régnier Pirard https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/regnier-pirard-le-sujet-postmoderne-entre-symptome-et-jouissance.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/regnier-pirard-le-sujet-postmoderne-entre-symptome-et-jouissance.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:31:16 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=121 Continuer la lecture ]]> psychanalyse_pirard
L’ouvrage de Régnier Pirard s’inscrit dans la lignée de travaux contemporains des quelques psychanalystes, dont Jean-Pierre Lebrun, Charles Melman, Roland Chemama pour ne citer que ceux-là, qui ont choisi d’interroger ce qui, au-delà de l’espace du divan, était à l’œuvre dans le lien social d’aujourd’hui. Il apporte ainsi sa pierre critique à un édifice conceptuel en construction, mais avec un style et un parcours singulier qui fait le précieux de cet ouvrage.

Il nous propose, dans un cheminement qui témoigne d’un travail sur de nombreuses années consacré à ces questions, une élaboration conceptuelle très étayée de ce qu’il nomme le sujet postmoderne. Entrant de plein pied dans la question de la nouvelle économie psychique, il pose dès son second chapitre, en jouant habilement de l’équivocité, la question sur laquelle il ne cessera de tisser son argumentaire pour dénoncer les travers et les illusions de la postmodernité : « ce passé du père ».

Faisant des allers-retours constants entre la clinique et le social, Régnier Pirard nous démontre de façon très convaincante ce qui se décline des différentes conséquences d’une progressive déchéance des noms du père qui va parfois jusqu’à la perte de toute référence à la fonction phallique. Il y dénonce par là même les illusions imaginaires d’un discours contemporain qui prône la jouissance, contre le désir.

Avec ce style qui lui est propre et laisse entendre un certain enthousiasme à cette tâche, Régnier Pirard nous interpelle de façon salutaire il me semble sur le travail qu’il y a à faire, sur la posture sur laquelle il n’y a pas à céder, pour singulièrement et collectivement se soutenir de notre désir d’analyste. Il invite à l’inventivité et à la créativité d’une psychanalyse capable de se renouveler, sans se dévoyer ou se perdre dans les modes ou facilités dogmatiques des establishments. Comme a su le faire Lacan à son époque pour soutenir le tranchant et l’efficace de sa discipline.

C’est en quoi cet ouvrage de Régnier Pirard apporte une certaine fraicheur, qui est également présente dans le fait que dans la reprise des travaux de nombre de ses collègues, il évite de façon très appropriée de céder à la tentation diagnostique, et nous invite plutôt à sa suite, à tenir le fil d’un questionnement rigoureux, toujours à renouveler, seule modalité permettant de faire la distinction entre imaginaire et réel. A ce propos, le débat à Nantes sur les perversions ordinaires, retranscrit dans cet ouvrage, laisse entendre comment il serait aisé de glisser d’un questionnement du réel, toujours difficile, à une dénonciation imaginaire beaucoup plus facile qui a plus ou moins les relents d’une revendication ou d’une plainte.

Les questions abordées dans cet ouvrage par Régnier Pirard sont nombreuses et pour nombre d’entre elles, il est tout à fait manifeste qu’elles mériteraient de plus amples développements, voire même un ouvrage spécifique (le renouvellement des relations hommes / femmes, les limites de la cure, ou encore la question de l’objet, comme l’actualité de la question de ce qui peut faire point de capiton). Tant de points et bien d’autres qui nécessiteraient des relectures, des séances de travail et des débats.

Cependant, de façon plus transversale, ce à quoi nous sommes invités, c’est également à entendre ici le travail d’un analyste qui chemine, disons de Freud à Lacan, et peut-être même dirais-je de Freud à Melman. Le sous-titre qui est proposé, « entre symptôme et jouissance » se lit différemment à la lecture de l’ensemble de ce texte. Il ne se lit plus comme une possible opposition entre le symptôme et la jouissance, mais plutôt comme un parcours qui va d’une lecture classique du symptôme, je veux dire freudienne, à une lecture renouvelée du champ de la jouissance, comme nous y invite aujourd’hui Charles Melman en parlant d’une nouvelle économie psychique.

Reste que la question se pose, en lisant ce nouvel ouvrage sur le délitement du lien social, de savoir si la dénonciation de la disparition de la référence à la fonction phallique, référence en partie freudienne, ne nous empêche pas de prendre toute la mesure du pas fait par Lacan, et poursuivi par Charles Melman. Ce pas, je dirais qu’il nous invite à nous orienter à partir de l’objet a et de la lettre, plutôt que du phallus et de la signification. Cela peut sembler évident dans la doctrine, mais j’y reviens parce qu’il n’est pas toujours évident que nous en prenions la mesure. La mesure qu’à partir de l’objet, de la lettre, aucune prétention anthropologique n’est possible. C’est peut-être ce qui ne nous incite pas à lâcher la référence au phallus, à une signifiance orientée par le S1. Si nous prenions vraiment la mesure de ce pas, peut-être serions plus prompt à apprendre de ces nouvelles modalités de jouissance qui se créent, qui s’inventent, en particulier dans les groupes de jeunes, à partir desquelles nous pourrions repenser notre praxis autrement. N’était-ce pas la démarche de Lacan avec Joyce, d’essayer d’en apprendre.

Car, comment font-il eux avec la jouissance, sans la référence phallique ? C’est une question, puisqu’il est tout à fait manifeste qu’ils ne sont pas psychotiques, comme le rappelle plusieurs fois Régnier Pirard. C’est, dans la suite de ses interpellations, une question qui les prolonge et s’articule à toutes celles qu’il nous adresse, en tant qu’analyste, mais aussi en tant que ce questionnement puisse se tenir de façon renouvelée dans les institutions d’analystes.

Site: freud-lacan.com, auteur : Jean-Luc Saint Just, le 08/09/2010

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La naissance de l’objet de Bernard Golse et René Roussillon https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/bernard-golse-rene-roussillon-la-naissance-de-lobjet.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/bernard-golse-rene-roussillon-la-naissance-de-lobjet.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:27:10 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=118 Continuer la lecture ]]> psychanalyse_enfance
Ce livre est un dialogue entre les deux psychanalystes Bernard Golse et René Roussillon. L’un travaille avec les bébés et les très jeunes enfants, l’autre avec les adolescents et adultes en proie à des souffrances narcissiques-identitaires. La confrontation de leurs recherches cliniques les fait se rejoindre autour de questions liées à « la naissance de l’objet », plus précisément à la naissance des processus de pensée tels qu’ils émergent pour le bébé dans l’interrelation avec ses parents, premiers penseurs de ses perceptions. Dès la vie intra-utérine, l’enfant se ferait une idée de ses parents, d’après leur présence sonore et rythmique. Les auteurs situent leur réflexion dans le domaine du « besoin du moi » d’une co-création psychique, qui soulève la question de la dépendance et de la transmission intergénérationnelle.

Des citations d’autres auteurs émaillent l’ouvrage : Bion, Aulagnier, Green, Laplanche, et Winnicott bien sûr, dont chacun connaît la formule selon laquelle un bébé seul n’existe pas. Il y a dès le départ de la vie, la présence d’un autre qui fait exister le bébé, en lui permettant d’envisager – son existence propre et celle de ceux qui l’entourent. La nébuleuse subjective de ces premiers temps ne peut se concevoir hors de la sphère d’interrelation avec l’objet naissant à la psyché du bébé, qu’est la personne maternante. Les auteurs convoquent les cliniciens de l’autisme (G.Haag, D.Meltzer) pour affirmer avec eux l’alternance de moments en miroir « pareils » où le parent est dans un accordage pulsionnel et affectif avec l’enfant, et de moments « pas tout à fait pareils » où le parent se distingue, désire ailleurs ou autrement. Par cette oscillation se dégagent peu à peu les noyaux de subjectivité de l’enfant. Comment, par exemple, tendent-ils à s’unifier et à s’organiser, entre ce qui est intérieur et extérieur à lui ?

Golse et Roussillon s’emparent de cette question de la synthèse psychique pour prolonger la réflexion de Freud qui apparaît dans « Constructions dans l’analyse » et dans les petits écrits de Londres. Freud y souligne que les difficultés rencontrées avant l’âge verbal, font l’objet de fixations beaucoup plus intenses que les traumatismes de l’enfant plus âgé. Il en attribue la cause à la « faiblesse de la capacité de synthèse » de la psyché à cet âge précoce.
Les auteurs évoquent la théorie de l’attachement, laquelle s’intéresse davantage à la présence de l’objet, contrairement à la psychanalyse, dont le travail de déconstruction se fonde sur une métapsychologie de l’absence de l’objet.

Que se passe t-il ou ne se passe t-il pas en présence de l’objet? Comment par exemple, en analyse, faire le deuil de quelque chose qui n’a pas eu lieu dans la rencontre avec l’objet?
Les traumatismes précoces, survenus à un âge de grande dépendance à la psyché de l’objet, cherchent plus tard leur voie d’expression dans la répétition d’actes, d’affects, de gestes, de somatisations. C’est pourquoi Roussillon recommande d’être aussi attentif, dans le transfert, à la façon dont le patient va utiliser la capacité de penser de son thérapeute pour synthétiser quelque chose d’une rencontre mal advenue avec l’objet (et non pour déconstruire, comme il est de mise dans les problématiques œdipiennes et identificatoires plus tardives).

La particularité de ces traumatismes « hyper précoces » comme les définit Golse, est de renvoyer à la façon dont l’objet a été en interrelation avec le bébé pour lui prêter sa psyché, et conférer à la pulsion une valeur de messager, représentable en affects, en choses, puis en mots. La mère est d’abord celle qui pense et transforme la pulsion du bébé, au travers d’une communication mimique, gestuelle, langagière. Elle exerce sa fonction du dedans même de la psyché de l’enfant, rappelle Bernard Golse, afin qu’il puisse ensuite rependre à son compte, la possibilité d’abord offerte de symboliser ce qu’il vit. Dans cette métapsychologie de la présence, ce qui fait trauma c’est la faillite de l’objet – trop ou trop peu présent – à accompagner les potentialités inter-psychiques du bébé et du très jeune enfant, fondatrices ensuite de son intra-psychique. Il y a une sorte d’agonie de la mise en sens des multiples impressions qui assaillent le bébé. Roussillon en retrouve la marque dans sa clinique des sujets adultes, addictés ou en souffrance narcissique aigüe.
Le phénomène d’après-coup chez les très jeunes enfants s’appliquera aux traumatismes de rencontres non advenues avec la psyché parentale, ou d’événements pulsionnels insuffisamment médiatisés par la présence de l’objet.

Bernard Golse développe largement l’idée – pas encore communément admise par les psychanalystes – d’après-coups intrinsèques à la petite enfance. En effet, dit-il, si l’après-coup actualise, en la retraduisant, la dimension traumatique d’un événement ancien, la maturation psychique qui sépare les deux temps du traumatisme n’est pas nécessairement celle de la puberté. Chacun des moments de maturation de l’enfance, aussi précoce soit-il, peut amener la retraduction d’un événement antérieur, et occasionner des symptômes pour lesquels les analystes d’enfants sont consultés.
De plus, Golse et Roussillon s’accordent sur la bidirectionnalité de l’après-coup : le passé influe sur l’événement présent, mais ce dernier remanie aussi les traces du passé. Cela augure que l’enfant n’est pas seulement marqué par l’empreinte de l’histoire familiale. Le présent de la relation à ses parents va solliciter et modifier le passé du parent… et donc sa présence envers son enfant.
Sous réserve que ces traces mnésiques puissent être sollicitées, c’est-à-dire non refoulées, déniées ou clivées telles que le sont, par définition, les pensées indésirables. Dans ce sens, Roussillon relève que l’après-coup d’un traumatisme précoce a souvent lieu…en cours d’analyse. La technique associative déjouant les résistances, le transfert offre un support aux processus psychiques : l’analyste est « utilisé », selon le terme de Winnicott, à des fins de co-création psychique de façon à faire exister ce qui dans la relation à l’objet avait gravement nuit à l’épanouissement et à la synthèse des tous premiers mouvements de pensée du patient. La gamme d’affects liée au désir de détruire l’objet y prend souvent bonne part.
Ce livre dégage bien l’idée que narcissisme serein et relation à l’autre, ne s’opposent pas s’ils sont le fruit du partage premier avec un objet rencontré..

Site nonfiction.fr, le dimanche 03 octobre 2010 – 15:00

 

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Malvine Zalcberg : « Qu’est-ce qu’une fille attend de sa mère ? » https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/malvine-zalcberg-quest-ce-quune-fille-attend-de-sa-mere.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/malvine-zalcberg-quest-ce-quune-fille-attend-de-sa-mere.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:12:58 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=113 Continuer la lecture ]]>

Malvine Zalcberg : « Qu’est-ce qu’une fille attend de sa mère ? »

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Le livre de Malvine Zalcberg est étonnant à plus d’un titre. Voilà un livre traduit du brésilien dans le champ de la psychanalyse lacanienne, la chose est suffisamment rare que pour être soulignée. Mais ce qui est bien plus à mettre en évidence, c’est qu’il le mérite amplement. D’abord pour la rigueur avec laquelle il transmet les avancées de Freud et de Lacan, ensuite parce que sa manière de dire les choses est débarrassée de tout abus de jargon – autant que faire se peut – et vraiment accessible à qui s’interroge sur le trajet psychique de la fille et sur ce qu’elle attend de sa mère, enfin parce que les nombreuses formulations heureuses de l’auteur contribuent à mener plus loin des questions pourtant réputées difficiles et ardues. C’est sur ce dernier point que je soutiendrai ces quelques propos.

Ainsi, par exemple l’auteur avance : l’Œdipe fait l’homme, il ne fait pas la femme (143). A l’issue de l’Oedipe, si le garçon a reçu du père le droit au phallus, la fille devra continuer à chercher son identité comme femme. Manière de rappeler à quel point Freud, en considérant l’envie du pénis comme invariable dans l’inconscient, jusqu’à un certain point asphyxiait les femmes dans un tout phallique (30). C’est à ce même endroit que Lacan a entrepris d’élaborer son schéma de la sexuation qui va lui permettre de soutenir la voie du pastout. Si la petite fille, à l’encontre du petit garçon ne trouve pas de réponse chez le père quant au trait qui pourrait la faire femme, on peut comprendre l’importance de sa déception au point qu’elle soit tentée de renoncer à quitter la mère ou De se réfugier dans la situation oedipienne comme en un port et ne jamais quitter le père. Dans la majorité des cas cependant, on comprendra aussi qu’elle se laissera distraire de la rencontre avec l’absence, par la maternité. Celle-ci lui fournit un substitut phallique qui lui permet ainsi – momentanément, voire définitivement – de ne pas avoir à se soutenir du manque de trait qui spécifie le féminin.

Ce que Malvine Zalcberg fait bien entendre au travers de son livre, c’est que si le garçon se trouve avantagé de trouver un trait d’identification positif chez le père, le désavantage de la petite fille pourrait bien s’inverser dans la mesure où il s’agit toujours de reconnaître que pour soutenir sa parole singulière, c’est sur le vide qu’il faut s’appuyer, c’est toujours de l’absence qu’il faut précisément se soutenir.

J’en déduis dès lors ce que ce livre me permet de mieux penser : là où chacun se trouve aujourd’hui, dans le contexte démocratique qui est le nôtre, plus que jamais invité à inscrire sa singularité, c’est évidemment la façon dont se soutient le féminin qui trace la voie à suivre. Utile dès lors de reconnaître que là où l’homme en est à devoir davantage se soumettre à l’incertitude et se confronter plus que jamais à l’altérité, une femme se retrouve pouvoir lui indiquer le chemin, du seul fait d’être contrainte à ne pas inscrire le manque de la manière toute phallique qui, hier, était prévalente. Il y a un manque structural en l’homme en tant que sujet. Il y a un double manque chez la femme: comme sujet et comme femme (31).

Ceci fait bien entendre le déplacement qu’opère la mutation du lien social à laquelle nous avons à faire : là où hier, le phallique, sous l’égide du patriarcat, se proposait comme modèle universel de comment le langage affecte le parlêtre, aujourd’hui, c’est le pastout phallique qui s’impose non comme modèle qui vaille pour tous, mais comme indice de la voie que chacun doit frayer, donc inventer. Et dans une telle configuration, c’est bien le féminin qui se propose désormais comme voie à suivre. Autrement dit, le féminin n’y est plus la propriété des femmes, mais plutôt ce à quoi chacun doit se confronter une fois que l’on a mis comme raison de la vie collective, l’exercice possible de la singularité. En ce cas la féminité reste néanmoins la façon dont chaque femme noue son corps avec ledit féminin. La question de la féminité doit être résolue par chaque femme individuellement (242), écrira Malvine Zalcberg.

Mais c’est aussi une autre piste que le livre explore avec beaucoup de pertinence : celle de ce que la maternité apporte spécifiquement à une femme.

La contrainte un peu compliquée pour savoir ce que signifie d’être homme ou femme tient au langage, au fait que pour les humains, les positions respectives d’homme et de femme ont rapport avec la possibilité que nous avons de parler ; s’en suit en effet que les positions masculine et féminine correspondent moins à l’anatomie qu’à la façon dont le sujet va s’inscrire dans le langage : tout ou pastout dans la fonction phallique. Et de ce fait même, il s’avère possible pour l’humain de se délester de l’anatomie au profit de la place qu’il va prendre sous l’égide du signifiant. Reste à savoir si cette liberté dont il dispose le soustrait entièrement du destin anatomique qui est le sien.

Or c’est précisément à cet endroit qu’il faut revenir sur ce qu’implique la maternité : bien sûr celle-ci se propose comme substitut phallique – et donc comme distraction, voire comme esquive – à une femme en panne de trait qui la fait femme, mais ladite maternité est aussi à interroger du côté du pastout phallique. C’est déjà ce que Lacan avançait en 1960 lors du congrès sur la sexualité féminine : il convient d’interroger si la médiation phallique draine tout ce qui peut se manifester de pulsionnel chez la femme, et notamment tout le courant de l’instinct maternel2. C’est autrement, mais avec la même pertinence que Malvine Zalcberg profitera d’une citation de l’écrivain D.H. Lawrence dans son ouvrage Amants et fils, pour faire entendre la spécificité de ce qui noue la mère à son enfant, en l’occurrence fille : un fils sera mon fils jusqu’à ce qu’il rencontre une femme, mais une fille sera ma fille toute la vie (183).

Autrement dit, quelque chose du lien mère-fille, serait l’indice de ce reste, de ce qui échappe au phallique dans la relation d’une mère à son enfant. Autrement dit encore, l’enfant, loin de n’être que le phallus de la mère, est aussi son objet a. Voire même, comme Lacan l’écrit dans sa lettre à Jenny Aubry, l’enfant peut réaliser la présence de l’objet a dans le fantasme De la mère. Et il ajoute que, ce faisant, il lui donne, immédiatement accessible, ce qui manque au sujet masculin : l’objet même de son existence apparaissant dans le réel3. Ce qui se traduira chez Malvine Zalcberg en : la femme a un recours de plus que l’homme pour chercher une compensation à sa perte de jouissance : faire de ses enfants objets a, des objets causes de son désir. L’enfant permet à la mère en tant que femme d’avoir accès en son fantasme à l’objet cause de son désir (…) L’enfant devient un “bouchon” pour la mère, un bouchon qui comble son manque (160). J’aurais préféré lire : l’enfant devient un bouchon pour la mère, non pas un bouchon qui comble son manque, mais un bouchon qui lui permet d’empêche son manque d’émerger.

Car c’est bien cette face réelle du lien mère-enfant que l’auteure de Qu’est ce qu’une fille attend de sa mère ? met sous la loupe. Nous n’allons pas ici en développer toutes les conséquences identifiées dans l’ouvrage mais nous relèverons que cet aspect du lien mère-enfant est aujourd’hui certainement crucial car c’est bien ce qu’évoquait Freud comme étant si difficile à saisir analytiquement, si blanchi par les ans, vague, à peine capable de revivre, comme soumis à un refoulement particulièrement inexorable4 qui se trouve aujourd’hui de plus en plus accessible, précisément sans doute du fait de la mutation du lien social. D’une part, parce que le déclin du Nom-du-Père et la forclusion de fait5 Du père réel que souvent ce déclin entraîne, ne donne plus de garantie quant à obtenir du père le trait qui va dire l’identité masculine. Ceci ayant des effets différents sur le destin du garçon que cela laisse en panne avec sa question et sur celui de la fille à qui cela coupe la voie de la possibilité de se confronter à la spécificité de son questionnement.

Mais de plus, comme nous l’avons vu, l’évolution démocratique que nous connaissons, qui implique la fin du patriarcat, va mettre chacun en demeure de se confronter au féminin puisque l’idéal de ladite démocratie va pousser à la singularité, ce qui, comme nous venons de le dire, ne peut se faire qu’en explorant la spécificité du féminin de chacun – quelle que soit son anatomie – et en ne se contentant néanmoins pas de la castration même s’il ne s’agit pas pour autant d’en récuser la nécessité.

Donc double difficulté : plus de point d’appui pour se confronter au manque de trait, et pourtant plus que jamais, obligation de se soutenir à partir de ce seul manque. Tel serait, dans la structure, ce qui pourrait être estimé responsable de la précarisation des solutions que nous voyons se mettre en place aujourd’hui.

Et d’ailleurs Malvine Zalcberg insiste sur les voies différentes que cela ouvre : l’enfant recourt à deux façons de réagir à l’expérience de passivité face à l’Autre auquel il est soumis par structure au commencement de sa vie. L’une d’elles est d’entrer activement dans la phase phallique à travers l’identification avec l’objet du désir de la mère : être l’objet désiré par la mère. (…) C’est une solution par laquelle l’enfant, identifié au phallus, s’aliène au désir maternel ; de cette position, le père devra le sauver pour qu’il puisse sortir de l’aliénation fondamentale. (…) L’autre façon pour l’enfant de réagir à sa position passive initiale en relation à l’Autre maternel est de chercher à se séparer de l’objet a qu’il est dans le fantasme de l’Autre. A travers cette solution, l’enfant impose à l’Autre une perte : il devient ce qui manque à l’Autre. Il s’agit d’une solution opposée à celle que présente la phase phallique, que caractérise l’engagement de l’enfant à chercher à compléter l’Autre, et non à lui infliger un manque (169).

Cette distinction entre enfant-phallus et enfant-objet a que l’auteure met très bien en évidence, s’avère donc cruciale en ces temps de fin de patriarcat puisque dans ce cas de figure, c’est le travail de séparation qui est au cœur de l’enjeu. Restera bien sûr à savoir où, en ce cas, se situe la nécessité du père mais ce discernement n’autorise plus l’équivalence entre fonction du père et patriarcat.

Mais ce qui est remarquable, c’est comment le travail de Malvine Zalcberg fait émerger que l’avenir de l’enfant dépend du destin du fantasme de la mère qui le considère comme objet de jouissance. Et elle ajoute : est-il régulé ou non par la fonction symbolique ? Si le père qui personnifie la loi symbolique n’intervient pas, l’enfant restera entièrement sujet du fantasme de la mère. Expérimenté comme partie du corps de la mère, l’enfant (…) est maintenu dans une position dévastatrice : celle de n’être plus que l’objet du désir de la mère (167).

N’est-ce pas précisément ce que la clinique actuelle nous enseigne, à savoir les conséquences “ravageuses” d’un tel dispositif. Mais aussi la nouveauté qu’il nous fait entrevoir : ce qui pour Freud apparaissait comme soumis à un refoulement particulièrement inexorable se trouve aujourd’hui accessible, voire favorisé et là où le père était incontournable, c’est bien aujourd’hui la fonction symbolique qui se trouve être l’enjeu. S’en suit que la fille, étant de structure moins protégée par ledit symbolique, c’est elle qui ouvre la voie de soutenir la proximité avec le réel. S’en suit encore que loin de ne rien trouver chez sa mère, elle y trouve comment celle-ci a elle-même fait face à l’absence du trait qui l’attestait femme.

Ainsi donc paradoxalement, le livre de Malvine Zalcberg inverse le lieu de la découverte : c’est du nouveau monde que nous vient la bonne nouvelle : ce qu’une fille attend de sa mère pourrait nous en apprendre sur ce comment, en ces temps de mutation, il est possible, ainsi que le propose Lacan, de frayer la voie à l’élaboration du pastout6.

Notes :

1 Editions Odile Jacob, 2010, préface d’Aldo Naouri.

2 J. Lacan, Écrits, Seuil, 1966, p. 730.

3 J. Lacan, Autres écrits, Seuil, 2001, p.344.

4 S. Freud, Sur la sexualité féminine, (1931), in La vie sexuelle, op. cit. p. 139.

5 J. Lacan, Séminaire XXIII, Le Sinthome, Seuil, 2005, p. 88.

6 J. Lacan, Séminaire XX, Encore, Seuil, 1975, p. 54.

Auteur : Jean-Pierre Lebrun
Source : freud-lacan.com

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Donald Winnicott : « La famille suffisamment bonne » https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/donald-winnicott-la-famille-suffisamment-bonne.html https://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/donald-winnicott-la-famille-suffisamment-bonne.html#comments Fri, 01 Feb 2013 20:07:26 +0000 admin http://www.psychotherapies-lyon.fr/psyblog/?p=109 Continuer la lecture ]]> La bonté de la famille sous la loupe de Winnicott
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La famille suffisamment bonne

Résumé : La structure familiale est le système privilégié dans l’organisation psychique. La thèse d’une famille suffisamment bonne comme garant du développement psychique introduit un paradoxe dont témoigne la clinique : la famille suffisamment bonne ou pas assez, est le substrat du pathos.
Francisco RENGIFO (nonfiction.fr)

Dans La famille suffisamment bonne, ouvrage jusqu’à présent inédit en français, Donald W. Winnicott recueille les textes fondamentaux de dix années de conférences qui, dans un langage simple et adressé à un public large, témoignent de l’importance de la famille dans la constitution psychique de l’enfant. Au-delà du simple apprentissage, l’enfant est confronté au monde des affects de l’adulte, monde à travers lequel ce petit homme ou cette petite femme en devenir va construire son propre univers à lui. Ce premier groupe naturel qui caractérise la famille nucléaire se constitue en porte d’entrée vers le développement de l’enfant en tant que sujet, faisant de la structure familiale le système privilégié dans l’organisation psychique.
Dix ans de recherche et d’écriture ont été nécessaires à Donald Winnicott pour qu’enfin le matériel de ce temps de travail soit recueilli sous son titre original anglais The Family and Individual Development. Publié pour la première fois en 1965, cet ouvrage constitue un ensemble de conférences prononcées dans des institutions et des universités, dont le public était majoritairement composé d’intervenants assistant des enfants: psychologues, médecins pédiatres, et surtout assistants sociaux.
Il est possible de constater, parmi l’ensemble des conférences, l’importance octroyée par Donald Winnicott à la famille, dans le processus de développement de l’enfant. La famille est sans doute le noyau à partir duquel la structure de la personnalité d’un individu prend forme. C’est par les soins maternels, première ébauche des rapports de l’enfant à la mère, que se constitue un prototype fondamental de relation instaurant les éléments décisifs, et les aspects déterminants dont vont dépendre le destin de l’individu. Paraphrasant le titre proposé par l’auteur de cette brillante traduction du texte de Winnicott, nous pourrions dire effectivement, que pour pénétrer dans les méandres de cette relation de l’enfant à la famille, Winnicott introduit une question préliminaire : La famille est-elle suffisamment bonne pour garantir un destin psychique favorable à l’enfant ?

A l’origine c’est la mère…
Les fonctions de la mère suffisamment bonne

Dans un première point d’ancrage du lien entre l’enfant et la mère, il s’opère, selon Donald Winnicott, un processus d’identification qui va à double sens : l’identification de la mère à son bébé, et un état d’identification originaire de l’enfant à sa mère.
Dans le fantasme inconscient de la mère, il y a un trait prédominant qui se supporte d’un désir de « drainer de l’intérêt de son propre self au profit du bébé », c’est ce que Winnicott appelle « la préoccupation maternelle primaire » (p. 10).
C’est dans cette préoccupation maternelle primaire de la mère, que celle-ci peut répondre aux besoins de l’enfant de manière efficace.
Deux problèmes peuvent apparaître dans la mise en fonctionnement de cette relation originaire, et qui selon Winnicott peuvent mettre en péril le processus de développement de l’enfant.

D’une part, le narcissisme maternel trop centré sur sa personne et ses intérêts, au point de négliger complètement son propre enfant, et d’autre part, son état opposé, à savoir : la compulsion maternelle à être absorbée totalement par l’enfant jusqu’à faire de ses demandes et besoins une préoccupation pathologique.
En effet, les problèmes évoqués par Winnicott rejoignent les troubles mentaux dits puerpéraux, qui souvent se constituent en véritables cadres cliniques nécessitant des soins pour empêcher leur évolution.
Selon Winnicott, le stade d’identification de l’enfant à sa mère apparaît dès la première période de vie jusqu’à l’âge de 6 mois. Cette première période de vie nécessite une mère suffisamment bonne pour que le processus de développement de l’enfant s’opère dans des conditions favorables :
« Si le maternage n’est pas suffisamment bon, le nourrisson se résume à une série de réactions à des empiétements et le vrai self de l’enfant échoue à se former, ou se dissimule derrière un faux self compliant qui tend surtout à se protéger des coups que le monde frappe à sa porte » (p. 13).

Une mère suffisamment bonne garantira la solidité du moi de l’enfant ; un moi donc fortifié par le soutien du moi de la mère. C’est en ce sens que ce processus d’identification inaugurale entre l’enfant et la mère est décisif quant à la constitution psychique et le développement de l’enfant.
A ce stade du processus, le self de l’enfant n’est pas encore formé, mais les avatars de cette identification définiront en grande partie le destin psychique du petit homme en devenir.
Ainsi, Winnicott attribue trois fonctions majeures à la mère suffisamment bonne :
Le holding (maintien), en rapport avec la capacité de la mère à s’identifier à son bébé, c’est-à-dire la capacité de la mère à offrir à l’enfant des soins basiques afin de le soutenir dans son état de dépendance. Un holding défaillant a pour conséquence des états de détresse assez connus dans la clinique des petits enfants et qui peuvent témoigner des états proches de la psychose.
Le handling (maniement), qui se constitue pour Winnicott en facilitateur d’un partenariat psychosomatique chez l’enfant, donnant à l’enfant la possibilité de se reconnaître comme étant un corps séparé de sa mère, et lui donnant la possibilité de reconnaître la réalité de son propre corps. Cette reconnaissance de son corps plongera l’enfant dans une curiosité de par le fonctionnement de celui-ci, permettant de développer le mouvement, la coordination et le tonus musculaire.
Et en troisième lieu, il y a ce que Winnicott appelle la présentation de l’objet ou réalisation, qui est la possibilité, qui s’offre à l’enfant, d’établir un lien pulsionnel avec les objets. Une défaillance sur la manière dont les objets se présentent dans l’univers pulsionnel de l’enfant l’empêche de se reconnaître comme réel et comme étant différencié des objets qui l’entourent.
En résumé, ces trois fonctions de la mère, dans le premier stade de développement de l’enfant, constituent l’environnement facilitateur pour le processus de maturation.
Mais parallèlement à la présence d’une mère suffisamment bonne, la clinique montre les effets des possibles défaillances au sein d’une famille, qui en général n’est pas toujours assez bonne, ou en tout cas pas assez, aux vues des idéaux winnicottiens de la bonté…

La place de l’enfant dans le fantasme parental

Nous ne comprendrons jamais assez les enjeux des relations qui se tissent à l’intérieur de la famille et ses effets sur l’enfant, si l’on ne tient pas compte de la place que l’enfant occupe dans le fantasme de la mère aussi bien que de celui du père. En effet, la place en question va définir, de manière radicale, le destin psychique de l’enfant. Il ne suffit pas de supposer qu’un enfant est très aimé ou pas assez, pour en déduire les particularités de l’héritage symbolique qui lui viennent de ses parents et des contenus qui se transmettent de génération en génération. L’histoire de la famille va bien au-delà des affects ! Celle-ci s’inscrit dans un mode de transmission assez particulière, car un père ou une mère ont été également les enfants de leurs parents. L’acte de transmission en question introduit chez le nouveau-né tout le bagage qui traverse les générations.
Cet héritage inscrit donc des facteurs favorables à l’intégration de l’enfant, mais aussi des facteurs qui peuvent apparaître comme des éléments perturbateurs à cette intégration, le fantasme parental étant toujours le support de ceux-ci.
Pour Winnicott, un enfant qui se développe d’une manière convenable apporte un certain équilibre à la vie familiale et garantit également une forme d’assurance au couple parental.
Selon Winnicott, une bonne tendance à l’intégration nécessite le concours des parents, et c’est ce qui constitue la force de la famille, c’est-à-dire, ce quelque chose qui s’inscrit dans un « environnement suffisamment bon » (p. 52).
Quelles sont donc les tensions qui, émanant de la famille, peuvent soit garantir le bon développement de l’enfant, soit le perturber ?

La dépression parentale

Dans la conférence donnée en octobre 1958, à l’occasion du « Family Service Units Caseworker’s Study Weekend », Winnicott examine de manière assez minutieuse les effets des troubles dépressifs chez l’un des membres du couple parental ou chez les deux. Pour cela, Winnicott introduit une distinction préliminaire très importante au niveau de la pathologie dépressive en elle-même, car de toute évidence, le trouble dépressif n’est pas le même lorsqu’il s’agit d’une psychose ou d’une névrose : « Le trouble psychonévrotique chez le père ou la mère présente une complication pour l’enfant qui grandit, mais la psychose chez un parent expose l’enfant à des menaces plus subtiles pour un développement sain » (p. 56).
La question de la dépression peut donc s’inscrire dans le cadre d’une maladie psychiatrique très grave comme c’est le cas de la mélancolie où le sujet porte sur ses épaules tous les malheurs du monde, en étant lui même directement le responsable, et dont il trouve difficilement l’issue. Il peut s’agir également du phénomène presque universel chez les personnes qui jouissent d’une bonne santé mentale et qui dévoilent un état de paroxysme des petites misères humaines : la dépression névrotique. Bref, pour le destin psychique d’un enfant en développement, avoir une mère ou un père mélancolique n’est pas du tout la même chose que d’avoir un parent névrosé traversant une crise dépressive, aussi si longue soit-elle.
Quoi qu’il en soit, il apparaît comme une évidence, pour Winnicott, que la famille se voit confrontée à un danger potentiel lorsque le père ou la mère est déprimé.
Mais la dépression reste tout de même un affect qui témoigne des composants agressifs, destructeurs et culpabilisants de la nature humaine. Lorsque la dépression ne se situe pas dans le contexte d’une symptomatologie psychotique, elle peut se constituer en une mise à plat des affects pour une ultérieure mise en tension pulsionnelle avec la possibilité d’une relance de l’activité constructive du sujet. Pour Winnicott, la dépression est « une preuve de croissance et de santé dans le développement émotionnel de l’individu » (p. 72).

Le concept de maturité chez Winnicott et son corrélat dans la famille suffisamment bonne

Le concept de maturité est sans doute l’argument essentiel utilisé par Winnicott dans la compréhension du rôle de la famille dans l’établissement de la santé psychique d’un individu. C’est bien cette perspective qui introduit la question sur les difficultés possibles qu’affronte un individu pour atteindre une maturité émotionnelle en dehors du cadre familial.
Le point de vue de Winnicott suppose que le développement de chaque individu commence par une dépendance absolue et que, progressivement, à mesure même de sa maturité psychique, il gagne en autonomie. En somme, ce qui est important, c’est de savoir si l’environnement familial s’adapte bien aux besoins de l’individu, à chaque moment particulier de son développement.
Ces moments de développement, qui s’opèrent dans une progression régulière, fonctionnent comme des formes de révolte vis-à-vis de la dépendance initiale.
La maturité est donc, pour Winnicott, synonyme de bonne santé : « si l’on accepte l’idée que la santé est une question de maturité au bon âge, l’individu ne peut atteindre la maturité émotionnelle que dans un cadre où la famille a fourni le pont conduisant du soin parental (ou du soin maternel) jusqu’au support social » (p.99).
Ce parcours certes rapide et insuffisant de cet ouvrage de Winnicott, jusqu’aujourd’hui inédit en français, introduit une problématique qui semble être en relation avec quelque chose qui est de l’ordre d’une interrogation morale et un questionnement autour des bonnes moeurs de la famille.
Le fait que la famille nécessite d’être « suffisamment bonne » introduit un critère de valeur quant à la « vertu » de la famille en question. Rappelons que la bonté est une vertu qui appartient au domaine de la morale.
Pour amener ce petit contre-argument jusqu’à ses derniers retranchements, nous pourrions conclure en posant la question suivante : une famille suffisamment bonne existe-t-elle ?.

Dr Christian Colbeaux, psychiatre, psychanalyste à Lille, chef de service du CSAPA du centre hospitalier de Douai

rédacteur : Francisco RENGIFO, Critique à nonfiction.fr
Titre du livre : La famille suffisamment bonne
Auteur : Donald Winnicott
Éditeur : Payot
Titre original : The Family and Individual Development
Date de publication : 13/01/10

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