La naissance de l’objet de Bernard Golse et René Roussillon

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Ce livre est un dialogue entre les deux psychanalystes Bernard Golse et René Roussillon. L’un travaille avec les bébés et les très jeunes enfants, l’autre avec les adolescents et adultes en proie à des souffrances narcissiques-identitaires. La confrontation de leurs recherches cliniques les fait se rejoindre autour de questions liées à « la naissance de l’objet », plus précisément à la naissance des processus de pensée tels qu’ils émergent pour le bébé dans l’interrelation avec ses parents, premiers penseurs de ses perceptions. Dès la vie intra-utérine, l’enfant se ferait une idée de ses parents, d’après leur présence sonore et rythmique. Les auteurs situent leur réflexion dans le domaine du « besoin du moi » d’une co-création psychique, qui soulève la question de la dépendance et de la transmission intergénérationnelle.

Des citations d’autres auteurs émaillent l’ouvrage : Bion, Aulagnier, Green, Laplanche, et Winnicott bien sûr, dont chacun connaît la formule selon laquelle un bébé seul n’existe pas. Il y a dès le départ de la vie, la présence d’un autre qui fait exister le bébé, en lui permettant d’envisager – son existence propre et celle de ceux qui l’entourent. La nébuleuse subjective de ces premiers temps ne peut se concevoir hors de la sphère d’interrelation avec l’objet naissant à la psyché du bébé, qu’est la personne maternante. Les auteurs convoquent les cliniciens de l’autisme (G.Haag, D.Meltzer) pour affirmer avec eux l’alternance de moments en miroir « pareils » où le parent est dans un accordage pulsionnel et affectif avec l’enfant, et de moments « pas tout à fait pareils » où le parent se distingue, désire ailleurs ou autrement. Par cette oscillation se dégagent peu à peu les noyaux de subjectivité de l’enfant. Comment, par exemple, tendent-ils à s’unifier et à s’organiser, entre ce qui est intérieur et extérieur à lui ?

Golse et Roussillon s’emparent de cette question de la synthèse psychique pour prolonger la réflexion de Freud qui apparaît dans « Constructions dans l’analyse » et dans les petits écrits de Londres. Freud y souligne que les difficultés rencontrées avant l’âge verbal, font l’objet de fixations beaucoup plus intenses que les traumatismes de l’enfant plus âgé. Il en attribue la cause à la « faiblesse de la capacité de synthèse » de la psyché à cet âge précoce.
Les auteurs évoquent la théorie de l’attachement, laquelle s’intéresse davantage à la présence de l’objet, contrairement à la psychanalyse, dont le travail de déconstruction se fonde sur une métapsychologie de l’absence de l’objet.

Que se passe t-il ou ne se passe t-il pas en présence de l’objet? Comment par exemple, en analyse, faire le deuil de quelque chose qui n’a pas eu lieu dans la rencontre avec l’objet?
Les traumatismes précoces, survenus à un âge de grande dépendance à la psyché de l’objet, cherchent plus tard leur voie d’expression dans la répétition d’actes, d’affects, de gestes, de somatisations. C’est pourquoi Roussillon recommande d’être aussi attentif, dans le transfert, à la façon dont le patient va utiliser la capacité de penser de son thérapeute pour synthétiser quelque chose d’une rencontre mal advenue avec l’objet (et non pour déconstruire, comme il est de mise dans les problématiques œdipiennes et identificatoires plus tardives).

La particularité de ces traumatismes « hyper précoces » comme les définit Golse, est de renvoyer à la façon dont l’objet a été en interrelation avec le bébé pour lui prêter sa psyché, et conférer à la pulsion une valeur de messager, représentable en affects, en choses, puis en mots. La mère est d’abord celle qui pense et transforme la pulsion du bébé, au travers d’une communication mimique, gestuelle, langagière. Elle exerce sa fonction du dedans même de la psyché de l’enfant, rappelle Bernard Golse, afin qu’il puisse ensuite rependre à son compte, la possibilité d’abord offerte de symboliser ce qu’il vit. Dans cette métapsychologie de la présence, ce qui fait trauma c’est la faillite de l’objet – trop ou trop peu présent – à accompagner les potentialités inter-psychiques du bébé et du très jeune enfant, fondatrices ensuite de son intra-psychique. Il y a une sorte d’agonie de la mise en sens des multiples impressions qui assaillent le bébé. Roussillon en retrouve la marque dans sa clinique des sujets adultes, addictés ou en souffrance narcissique aigüe.
Le phénomène d’après-coup chez les très jeunes enfants s’appliquera aux traumatismes de rencontres non advenues avec la psyché parentale, ou d’événements pulsionnels insuffisamment médiatisés par la présence de l’objet.

Bernard Golse développe largement l’idée – pas encore communément admise par les psychanalystes – d’après-coups intrinsèques à la petite enfance. En effet, dit-il, si l’après-coup actualise, en la retraduisant, la dimension traumatique d’un événement ancien, la maturation psychique qui sépare les deux temps du traumatisme n’est pas nécessairement celle de la puberté. Chacun des moments de maturation de l’enfance, aussi précoce soit-il, peut amener la retraduction d’un événement antérieur, et occasionner des symptômes pour lesquels les analystes d’enfants sont consultés.
De plus, Golse et Roussillon s’accordent sur la bidirectionnalité de l’après-coup : le passé influe sur l’événement présent, mais ce dernier remanie aussi les traces du passé. Cela augure que l’enfant n’est pas seulement marqué par l’empreinte de l’histoire familiale. Le présent de la relation à ses parents va solliciter et modifier le passé du parent… et donc sa présence envers son enfant.
Sous réserve que ces traces mnésiques puissent être sollicitées, c’est-à-dire non refoulées, déniées ou clivées telles que le sont, par définition, les pensées indésirables. Dans ce sens, Roussillon relève que l’après-coup d’un traumatisme précoce a souvent lieu…en cours d’analyse. La technique associative déjouant les résistances, le transfert offre un support aux processus psychiques : l’analyste est « utilisé », selon le terme de Winnicott, à des fins de co-création psychique de façon à faire exister ce qui dans la relation à l’objet avait gravement nuit à l’épanouissement et à la synthèse des tous premiers mouvements de pensée du patient. La gamme d’affects liée au désir de détruire l’objet y prend souvent bonne part.
Ce livre dégage bien l’idée que narcissisme serein et relation à l’autre, ne s’opposent pas s’ils sont le fruit du partage premier avec un objet rencontré..

Site nonfiction.fr, le dimanche 03 octobre 2010 – 15:00

 

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